Les objectifs du groupe de travail sur la réduction des délais de traitement de la Justice se précisent : l’Inspection générale de la Justice a rédigé à son attention, en vue de sa seconde réunion, une note sur les « règles et vecteurs procéduraux permettant de faciliter le traitement des affaires pénales et civile ».
Sous cette appellation pudique, se cache la volonté de poursuivre le rationnement des droits résultant des dispositions votées ces dernières années, notamment dans la loi du 23 mars 2019, pour restreindre le flux des affaires, ou les traiter de manière simplifiée au détriment de la qualité de la décision judiciaire.
Ce texte posait déjà les jalons d’un modèle de justice qui n’en a plus que le nom : éviter que les justiciables saisissent la justice, ou les obliger à saisir la justice par la voie dématérialisée, instaurer des chausses trappes de procédure pour écarter certaines saisines, supprimer l’audience et le débat judiciaire, ou ne l’organiser qu’en visioconférence, et ne motiver qu’exceptionnellement la décision, quand la « beauté du geste » juridique le justifie.
En 2018 et 2019, la mobilisation des professionnels de justice avait contraint la chancellerie à revoir ses ambitions à la baisse. Le ministère restait sur sa faim.
C’est ensuite pendant le premier confinement dû à la crise sanitaire que les fantasmes inassouvis de la chancellerie ont ressurgi comme autant de diables enfermés dans leur boîte : la pandémie a « légitimé » la suppression de toutes les garanties procédurales pendant plusieurs mois. Nous avions alerté sur le risque fort d’une accoutumance à ce mode très rentable de traitement des flux, et craignions déjà que cette expérience soit un laboratoire de pratiques que la chancellerie s’attacherait ensuite à inscrire dans le droit commun.
C’est exactement la visée assignée au groupe de travail installé le 3 février dernier par le garde des Sceaux : alors que les simplifications de procédures, pour certaines critiquables, ne sont applicables que si les conditions strictement définies par la loi sont remplies, conditions qui sont étrangères à la question de la gestion des flux, l’IGJ trouverait commode de les utiliser largement dans l’objectif de réduire les stocks. Par exemple, le filtrage de certains appels par le président de la chambre de l’instruction, qu’il peut rejeter seul par une décision insusceptible de recours, s’applique seulement aux demandes « manifestement irrecevables » : l’IGJ préconise dans sa note que « cet outil » soit « largement utilisé pour permettre de diminuer les stocks auprès des chambres de l’instruction ».
L’ambition n’est plus de rendre la justice mais d’évacuer les stocks et pour y parvenir les juridictions sont invitées à ne plus respecter ni les conditions posées par les textes, ni le contradictoire et les droits de la défense pour aller plus vite.
Ce mouvement de fond, observé depuis des années, est la cause d’une souffrance intense des professionnels de justice : quel est le sens de leur métier quand quotidiennement, il s’agit d’écarter les saisines, de dissuader les justiciables de faire valoir leurs droits, de ne pas examiner les affaires ni les arguments des parties, avec pour seul objectif d’afficher un traitement satisfaisant des flux ?
L’ensemble de la note de l’IGJ est à l’avenant : il est préconisé de se saisir pleinement des dispositions des ordonnances Covid de novembre 2020 et d’autres dispositions adoptées ces dernières années – procédure simplifiée de plaider coupable à la fin d’une instruction, procédure sans audience, juge unique généralisé, recours accru aux injonctions de payer, composition restreinte aux prud’hommes…
Sur la méthode, le ministre choisit ses interlocuteurs : il écarte le CNB, organe représentatif de la profession d’avocat, et les syndicats de magistrats comme d’avocats. Le groupe de travail est invité à rédiger des préconisations à partir des directives du ministère et de l’IGJ qui fixent également le tempo : des réunions sur chaque thème, et sans recueillir aucune contribution extérieure à celles de la chancellerie.
Lors de la première réunion, le groupe de travail devra rendre sa copie sur le thème « Identifier à droit constant les règles et vecteurs procéduraux permettant de faciliter le traitement des affaires pénales et civiles » ; lors de la seconde, « proposer des pratiques interprofessionnelles permettant d’optimiser le temps judiciaire lorsque cela est possible » ; lors de la troisième « Examiner les conditions selon lesquelles les avocats pourraient participer à l’activité juridictionnelle de manière exceptionnelle, afin d’aider à la résorption ponctuelle des stocks, et faire toutes propositions pouvant être également d’ordre normatif ». Le rapport devra être remis le 31 mars.
Jusqu’ici, la chancellerie n’avançait pas masquée, désormais elle fait preuve d’une indéniable inventivité en improvisant une tentative de blanchiment de ses propositions par un groupe de travail composé à la hâte de chefs de juridiction et de bâtonniers. Une technique qui ne trompera cependant personne.