PUBLIÉ LE 24 novembre 2023

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 16 novembre 2023 sur plusieurs questions de constitutionnalité portant sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, et sur la loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.

En dépit de certaines censures notables, le Conseil constitutionnel entérine une loi d’orientation et de programmation particulièrement attentatoire aux droits fondamentaux et libertés, et réduit considérablement le droit des justiciables.

Ainsi, en dépit de la censure du dispositif d’activation à distance d’appareils électroniques pour capter le son et l’image, jugé trop attentatoire à la vie privée, le Conseil constitutionnel a validé l’activation à des fins de géolocalisation.

Si le texte prévoit que la géolocalisation à distance ne peut pas concerner certaines professions protégées (journalistes, avocat.es), rien n’est dit sur la manière dont seront identifiés les téléphones de ces personnes concernées et il est à craindre que des informations seront recueillies auprès des professions protégées.

Si ces informations pourront, certes, être sorties des procédures par les enquêteurs, faisant mine de découvrir après l’exploitation que les appareils étaient ceux de journalistes ou d’avocat.es, ils auront permis entre-temps de suivre les déplacements de ces professionnel.les pourtant protégé.e.s.[1]

Le SAF regrette également que cette décision du Conseil constitutionnel s’inscrive dans une vision de la procédure pénale de plus en plus déshumanisée, s’exerçant derrière un écran.

L’extension du recours à la visioconférence dans la garde à vue, notamment pour l’examen médical lors du renouvellement de la mesure de garde à vue, pour l’interrogatoire de première comparution et pour le débat sur la détention provisoire dans certaines affaires complexes, constitue un recul important dans l’exercice des droits de la défense à un stade crucial de la procédure pénale.

Le SAF considère que cette généralisation comme attentatoire aux droits de la défense dans son principe et ce, d’autant qu’il n’existe aucun cadre précis d’usage de la visioconférence, à l’instar du dispositif mis en œuvre devant la cour nationale du droit d’asile.

Le SAF condamne toute utilisation de la visioconférence dénonce cette généralisation d’outils numériques au détriment des garanties procédurales.  Le SAF continuera son travail de vigie avec les associations de défense des libertés, et combattra avec l’arme du droit le recours à ces dispositifs techniques.

De plus, le Conseil constitutionnel valide le transfert des compétences du juge des libertés vers le juge du siège, s’agissant des décisions en matière de droit des étrangers (placement et maintien en zone d’attente, prolongation de rétention et assignation à résidence) et s’agissant de mise en quarantaine, placement à l’isolement et hospitalisation d’office, domaines où sont en jeu les libertés fondamentales d’aller et venir et de dignité humaine.

Alors que ces décisions doivent être prises par un magistrat spécialisé, indépendant de sa hiérarchie (et /ou de son chef de juridiction) et déjà expérimenté, le SAF relève que ce transfert de compétence s’effectue, s’agissant des décisions relevant du code de l’entrée et du séjour des étrangers, dans un contexte politique particulier  lié au débat sur le projet de loi sur l’immigration, dont les dispositions ont été amendées et durcies par le Sénat.

Ce transfert de compétence voulu par le législateur s’inscrit dans une démarche générale de restriction des libertés individuelles et non dans une volonté d’amélioration, du fonctionnement de la justice telle qu’annoncée.

Le SAF dénonce ce transfert et exige que des garanties complémentaires soient données quant à l’indépendance effective des juges du siège qui seront chargés de rendre ces décisions.

Concernant la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, si le Conseil constitutionnel confirme qu’un acte étranger non légalisé puisse néanmoins être produit à titre d’élément de preuve devant une autorité administrative ou une juridiction, la procédure, il est à craindre que le contentieux de refus de légalisation aboutisse à un engorgement de la juridiction administrative compte-tenu des comportements des autorités françaises.

Le SAF restera vigilant sur les précisions qui seront apportées par décret quant aux modalités de la légalisation et les actes publics concernés.

Concernant le versement de la contribution pour la justice économique prévue dans le cadre du « tribunal des activités économiques  », le SAF s’assurera que cette expérimentation ne soit pas un prétexte pour retour du réintroduire le dispositif de contribution pour l’aide juridique dans d’autres contentieux.

Le SAF salue toutefois la censure logique du cavalier législatif inséré dans la loi pour mettre en place le « légal privilège ». Une telle disposition aurait engendré une inégalité de moyens pour tous ceux et toutes celles (salarié.es, client.es, fournisseur.es…) qui auront à plaider contre l’entreprise concernée. Leur adversaire pourrait en toute légalité soit refuser de remettre au juge, soit s’opposer à la remise par un tiers au juge, de telle ou telle pièce qui pourrait lui nuire.

Le SAF reste fermement opposé à la mise en place d’un secret professionnel portant sur les consultations juridiques fournies par des juristes d’entreprise à leur employeur.

Dans le cadre de la prochaine mandature de ses élus au Conseil national des Barreaux, le SAF continuera toujours de s’opposer à des dispositifs connexes comme celui de l’avocat salarié ou détaché en entreprise, ou tel que le secret professionnel des juristes en général.

 

[1] Communiqué de l’OLN du 23 novembre 2023 : https ://lesaf.org/communique-de-lobservatoire-des-libertes-et-du-numerique/

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