PUBLIÉ LE 8 novembre 2021

 

Chères Consœurs, Chers Confrères,

Dans le cadre du projet de loi confiance dans l’institution judiciaire, le gouvernement, par l’intermédiaire de la  commission mixte paritaire, a fait adopter un texte prévoyant deux exceptions à notre secret professionnel, en matière de conseil :

  • Lorsque l’enquête porte sur des infractions de fraude fiscale, de corruption, de trafic d’influence, de financement du terrorisme ou de blanchiment de ces infractions (futur article 56-1-2 1° du Code de procédure pénale) :

« Article 56-1-2

Dans les cas prévus par les articles 56-1 et 56-1-1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction :

1° lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits et que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions »

  • Lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction (futur article 56-1-2 2° du Code de procédure pénale)  :

« Article 56-1-2

Dans les cas prévus par les articles 56-1 et 56-1-1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction :(…) 

2° ou lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission ou, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction. »

Ces atteintes, tant par leur ampleur que leurs conséquences pratiques, auront pour effet de mettre fin à notre secret professionnel sans distinction de secteurs d’activités ou de mode d’exercice.

 Le moindre acte ou échange avec un justiciable pourra justifier une perquisition de notre cabinet, voire de notre domicile.

Si l’exception prévue au futur article 56-1-2-1° du Code de procédure pénale limitera l’inopposabilité du secret professionnel aux enquêtes ou instructions ciblant certaines infractions précisément énumérées, représentant déjà une différence intolérable de traitement au sein même de la profession, le futur 2° du même article prévoit la création d’un « quasi-délit de complicité passive » de l’avocat car il permettra de justifier la perquisition d’un cabinet ou du domicile d’un avocat, pour découvrir des éléments qui seront utilisés contre nos clients, quelle que soit l’infraction ciblée dans le cadre de l’enquête ou de l’instruction, et sans aucune incrimination de l’avocat – qui pourrait ignorer jusqu’à l’existence même de l’infraction.

L’ensemble de nos exercices professionnels est ainsi concerné, du confrère en droit des étrangers alertant sur les effets d’un mariage et les sanctions encourues en cas de mariage blanc, aux fiscalistes conseillant leurs clients, en passant par les avocats en droit de la famille, informant leur clients sur leurs droits dans le cadre des mesures relatives à l’autorité parentale mais les mettant en garde contre une non-présentation d’enfants ou un abandon de famille …

Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le secret dans l’activité de défense n’est pas intégralement protégé.

En effet, comme nous le savons, les activités de conseil et de défense sont étroitement imbriquées, de sorte que la distinction est aussi artificielle que ténue.

Dans sa jurisprudence, la Cour de cassation n’hésite pas à affirmer que l’avocat n’assure pas une mission de défense lorsque son client n’est  » ni mi[s] en examen ou témoin assisté ni même n’a été plac[é] en garde à vue dans la procédure en cause  » (Cass. Crim, 22 mars 2016, 15-83.205).

Le secret attaché à l’activité de défense souffre déjà d’exceptions.

Comment définir le conseil ? Comment définir la défense ? La définition est source d’interprétations et de discussions. Ce flou aura une seule conséquence : la perquisition, la lecture de chacun de vos dossiers, pour que les services enquêteurs ou les juges définissent ce qui relèverait, selon eux, du conseil, non couvert par le secret professionnel, ou de la défense, encore couverte (mais pour combien de temps ?) par un secret professionnel abîmé mais existant.

Si la jurisprudence actuelle, par l’adoption d’une position contra legem, avait retenu que les consultations réalisées par un avocat et saisies chez un client ne pouvaient bénéficier de la protection offerte par le secret professionnel, la fragilité de cette jurisprudence assurait dans la pratique une limitation de ces saisies.

A compter de l’adoption de cette loi, plus aucun obstacle légal ne permettra de protéger nos cabinets, nos dossiers, nos clients, d’intrusions de confort émanant des autorités de poursuite ou d’instruction, qui pourront nous utiliser sans qu’aucun fait répréhensible ne soit retenu à notre égard pour venir chercher des éléments justifiant des poursuites ou des condamnations contre les personnes qui auront eu le tort de penser pouvoir s’exprimer librement auprès de leur avocat.

Une telle entaille faite au secret professionnel dans la loi risque d’aboutir à une multiplication des saisies et perquisitions, dans les cabinets d’avocats. 

Il est inacceptable que notre fonction et la confiance que nous accordent les citoyens et citoyennes soient utilisés.

Il est donc indispensable de se mobiliser pour la préservation de notre secret, pierre angulaire de notre Etat de droit, avant que le texte ne revienne à l’Assemblée Nationale le 16 novembre 2021 pour un vote solennel.

Nous vous invitons à participer à toutes les mobilisations organisées dans vos barreaux.

L’avenir de notre profession se jouera dans quelques jours.

Qui pourra encore nous faire confiance si la moindre confidence est susceptible d’être utilisée à l’encontre de celui qui la fait ?

A Paris, le 08 novembre 2021.

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