PUBLIÉ LE 26 février 2019

Madame la Présidente,

Nous avons été informés de votre volonté de mettre en place des audiences de la CNDA en vidéo-audience à la Cour Administrative d’Appel de LYON et de NANCY pour les demandeurs d’asile résidant dans le ressort du TA de LYON et de la CAA de NANCY.

Si la mise en place de cette modalité d’audience est prévue dans la loi du 10 septembre 2018 et a été validée par le Conseil Constitutionnel, qui a cru pouvoir mettre sur le même plan la préservation des deniers publics et le respect des droits de la défense, nous estimons que les conditions ne sont pas réunies pour que cette modalité d’audience soit imposée aux justiciables les plus vulnérables que sont les demandeurs d’asile.

Nos organisations, qui sont particulièrement attachées au respect des libertés et droits fondamentaux ne peuvent accepter cette modalité procédurale qui va impacter de manière très négative les droits des demandeurs d’asile, dans une matière où la conviction intime du juge est fondée principalement sur la force du récit et les explications données par la personne.

Dans une procédure où l’oralité des débats est primordiale, il est essentiel que le justiciable soit physiquement présent devant ses juges, à qui il appartient d’apprécier sa crédibilité, ce qui semble impossible derrière un écran. En effet la visio-audience n’est pas la reproduction d’une audience à corps présent. Par ailleurs cette modalité procédurale ne fera qu’éloigner le justiciable de ses juges .

Cette proposition a été présentée dans un premier temps comme une « expérimentation ». Il apparaît qu’elle concerne en fait plus de 3000 dossiers par an à NANCY et 3.500 dossiers à LYON, de sorte qu’il est erroné de la présenter comme une modalité marginale, eu égard au nombre de personnes impactées par ce dispositif.

Dans ce cadre, vous avez souhaité disposer d’une liste d’avocats volontaires au titre de l’aide juridictionnelle pour intervenir selon ces modalités.

Les barreaux concernés, à l’exception d’Epinal, n’ont pas répondu favorablement en marquant une opposition de principe à cette « expérimentation » tout en proposant la tenue, comme la loi le permet, d’audiences foraines de la CNDA pour permettre aux demandeurs d’asile être en présence de leurs juges.

Plusieurs barreaux ont exprimé leur soutien à cette position de refus (PARIS, SEINE-SAINT-DENIS, VAL-DE-MARNE, ROUEN..). De nombreuses associations se sont également associées à cette démarche (LIGUE DES DROITS DE L’HOMME, SAF, ADDE, ELENA …).

Dans deux délibérations des 17 novembre 2018 et 20 décembre 2018, le Conseil National des Barreaux a protesté avec vigueur contre la mise en place des audiences de la CNDA en vidéo-audience.

Dans un courrier du 4 février 2019, la Conférence des bâtonniers a rappelé sa ferme opposition à la vidéo-audience et a demandé aux bâtonniers de ne pas communiquer de liste d’avocats à votre juridiction. Le président GAVAUDAN a proposé une concertation afin de tenir des audiences foraines comme le prévoit l’article L. 733-1 du CESEDA.

La Conférence des bâtonniers a conclu qu’elle serait particulièrement vigilante quant au strict respect des dispositions de l’article 80 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991ce qui implique qu’aucun démarchage des avocats ne saurait être toléré pour contourner ce texte et l’imperium du bâtonnier.

Lors des travaux préparatoires de loi du 10 septembre 2018, le Défenseur des droits et les syndicats de magistrats administratifs ont exprimé leur opposition ou leur réticence à l’égard de la visio-conférence imposée aux étrangers sans recueillir leur accord.

Les médecins membres de « MEDA » (Médecine et droit d’asile) vous ont adressé un courrier le 31 décembre 2018 afin d’attirer votre attention sur l’incompatibilité de la vidéo-audience avec un contentieux impliquant des personnes d’une grande vulnérabilité.

Dans un courrier du 24 janvier 2019, Mme HAZAN, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, a également rappelé les réserves émises par cette institution dans un avis du 14 octobre 2011.

Le Conseil de l’Ordre du barreau de LYON a pris le 23 janvier 2019, à l’unanimité, une motion tendant à la grève des audiences de la CNDA à la CAA de LYON en vidéo-conférence.

La vidéo-audience suscite un front commun de refus de la part de nombreuses institutions ou professionnels qui alertent sur les effets délétères de ce procédé particulièrement déshumanisant et froid.  

Des tests ont été organisés à LYON et à NANCY les 16 et 28 janvier 2019, lesquels confirment les craintes et les réserves exprimées.

Les confrères ont pointé des défaillances empêchant la mise en œuvre de telles audiences :

* la taille réduite des salles d’audience ne permet pas de respecter le principe de la publicité des débats prévu à l’article R 733-24 du CESEDA ;

* l’absence d’accessibilité pour les personnes handicapées et l’absence de dispositif pour les malvoyants et malentendants a été relevée ;

* le lecteur optique ne permet pas d’apprécier le caractère authentique des pièces produites, ce qui prive les demandeurs d’asile d’un moyen de défense essentiel ;

* les possibilités de cadrage laissées à l’initiative du secrétaire d’audience risquent d’affecter la dynamique de l’échange entre le requérant et la Cour ; la formation de jugement sera dépossédée de l’examen des expressions du visage et des yeux en raison de la technique audiovisuelle même et des cadrages vidéo qu’elle ne contrôlera pas ;

* les intervenants ont noté un phénomène très gênant lié à l’impossibilité de regarder en même temps la caméra et l’interlocuteur ;

* la taille et la disposition des écrans sont très problématiques ; les demandeurs d’asile sont confrontés à leur image d’une manière frontale, ce qui risque d’être perturbant voire paralysant pour des personnes qui ont subi des persécutions.

A Nancy, ont été pointés le défaut d’isolation phonique entre la salle d’attente et la salle d’audience, ce qui empêchera la tenue des audiences à huis clos, et l’absence de toute salle d’entretien garantissant la confidentialité des échanges avec les avocats.

Une audience en vidéo-audience entraînera une perte considérable d’informations essentielles en termes de communication non verbale (expression du visage et des yeux / ton de la voix …). Cette technique va nécessairement amoindrir les possibilités de convaincre le juge, empêchera la communication des documents originaux et gênera l’échange contradictoire, ce qui affectera les droits de la défense et le droit au procès équitable.

En définitive, cette « expérimentation » risque d’entraîner une rupture d’égalité inacceptable entre les demandeurs d’asile, qui feront l’objet d’un traitement différent et discriminatoire par rapport aux autres demandeurs d’asile convoqués en audience publique et en présence de juges.

Face à des atteintes aussi évidentes au droit au procès équitable, dans un contentieux où l’appréciation des faits et de la personnalité est cruciale, cette modalité ne saurait être imposée à des justiciables vulnérables qui ne seront pas en mesure de présenter leur demande d’asile dans des conditions correctes.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous exprimons nôtre opposition à une telle « expérimentation » en ce qu’elle entraîne une rupture d’égalité entre les demandeurs d’asile selon leur domicile et, par suite, une atteinte inacceptable au droit au recours effectif et au respect des droits de la défense.

Nous vous demandons de suspendre la mise en place des vidéo-audiences de la CNDA à la CAA de LYON et de NANCY et de réfléchir, en concertation avec toutes les institutions, associations, syndicats impliqués dans ce contentieux, à la mise en place d’audiences foraines.

En effet faut-il rappeler que le recours à la visio audience est né d’une logique d’« exception » à la nécessaire proximité du justiciable avec ses juges. D’ailleurs le conseil Constitutionnel conscient de la nécessité de rapprocher les juges des justiciables tient désormais des audiences foraines en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité.

Vous remerciant par avance de l’attention que vous porterez à la présente, nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, nos salutations distinguées.

 

Laurence ROQUES                      Flor TERCERO                        Olivier CHEMIN

Présidente du SAF                       Présidente de l’ADDE             Président d’ELENA

 

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