PUBLIÉ LE 30 octobre 2020

Monsieur le Garde des Sceaux ,

Pour faire face à l’épidémie de Covid 19 , un nouveau confinement a été prescrit. Pour autant ainsi que l’a rappelé le Chef de l’Etat, les services publics doivent continuer de fonctionner dont celui de la justice.

Le fonctionnement du service public de la justice suppose que les avocats puissent rencontrer leurs clients en toutes circonstances, que les droits de la défense et la publicité des débats, principes essentiels à valeur constitutionnelle soient garantis a fortiori en cette période tout à fait exceptionnelle.

Nous déplorons que les mesures prises concernant les déplacements des personnes dans le cadre de cette deuxième période de confinement ne permettent pas d’assurer clairement ces deux principes.

Concernant tout d’abord les droits de la Défense, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de COVID 19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoit dans son article 4 I 7° la possibilité d’un déplacement « pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative ou pour se rendre dans un service public ou chez un professionnel du droit, pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance, en revanche l’attestation de déplacement dérogatoire prévoit uniquement le déplacement pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative ou pour se rendre dans un service public. »

Même si nul n’est censé ignorer la loi, l’on sait bien que nombre de nos concitoyens ne disposent pas de la capacité d’analyser un texte juridique.

En outre, seule fait l’objet d’une diffusion large l’attestation de déplacement dont le caractère non obligatoire a été confirmé par le Conseil d’Etat (CE 5ème chambre, 20 octobre 2020, n°440263). Les justiciables doivent avoir connaissance de ce qu’en cette période ils ont le droit de se rendre chez leur avocat.

Par ailleurs, en l’état, la personne qui se rendrait malgré tout au cabinet de son conseil courrait le risque d’être verbalisée par les services de police qui ne manqueront pas de s’en tenir à la seule attestation qui leur sera présentée.

Or, il est essentiel que les personnes qui vont comparaître devant les juridictions aient pu préparer leur défense au préalable avec leur conseil. Elles doivent savoir tout autant qu’elles peuvent faire valoir leurs droit même durant l’état d’urgence.

Nous vous demandons par conséquent une modification de l’attestation de déplacement dérogatoire qui devra prévoir la possibilité de se rendre chez un avocat.

Compte tenu de l’importance qui s’attache pour tous au respect des droits de la Défense et à la Justice, seule cette modification serait de nature à assurer l’effectivité des droits de la Défense et l’accès au droit de tous.

Concernant ensuite la publicité des audiences, celle-ci n’est plus assurée puisque seules les personnes munies d’une convocation sont autorisées à se déplacer pour se rendre dans les juridictions.

Par suite, ainsi que cela a déjà été appliqué dans de nombreux tribunaux, le poste de garde interdira à toute autre personne d’accéder à la juridiction.

Par ailleurs, vous n’ignorez pas que dans nombre de contentieux, les juridictions civiles comme répressives ont l’habitude de fixer une nouvelle date, sans nouvelle convocation…

Pourtant vous ne pouvez l’ignorer :  ce principe de publicité est destiné à garantir l’impartialité du procès et tout un chacun doit pouvoir y assister dans le respect des normes sanitaires.

Il permet également de juger en humanité la personne qui comparait, cette dernière pouvant être accompagnée dans un moment qui peut être difficile pour elle. C’est le cas du mineur victime de violences intra familiales qui doit pouvoir être accompagné et soutenu par l’éducateur de son lieu de vie alors que les liens ont été rompus avec sa famille et que les parents demeurent ses responsables légaux.

C’est le cas de la victime d’une agression qui doit pouvoir compter sur la présence d’une association d’aide aux victimes. C’est le cas de l’accusé dont la famille veut être là, à ses côtés et veut savoir…

Sur ce point, nous demandons  donc que l’attestation de déplacement dérogatoire prévoit également le déplacement de l’accompagnant  de la personne qui doit répondre à une convocation judiciaire.

J’attire votre attention sur le fait que des confrères ont d’ores et déjà constaté ce-jour qu’un membre de la famille d’un prévenu, venu apporter des pièces, a été verbalisé devant le tribunal de Paris.

Enfin, il est indispensable de faire cesser les choix kafkaïens auxquels sont confrontés les confrères entre la nécessaire défense des clients qui est au cœur de notre serment et la nécessaire préservation de leur santé.

Nous vous demandons en conséquence de faire le nécessaire pour que les avocats puissent bénéficier de circuits prioritaires de tests et de veiller à la mise à disposition de salles d’entretiens avec les prévenus, détenus, retenus et gardés à vue, etc. permettant le respect des distances nécessaires à la protection de la santé des justiciables et de leurs conseils.

Compte tenu de l’importance qui s’attache pour tous au respect des droits de la défense et de l’accès à la justice vous comprendrez que nous rendions ce courrier public.

Nous vous prions d’agréer Monsieur le Garde des Sceaux  l’expression de notre parfaite considération.

 

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