Monsieur le Directeur,
Le 6 avril 2020 vous avez édité une note sur les relations entre les avocats et leurs clients détenus en période de confinement, intitulée « modalités d’exercice du droit des détenus de communiquer avec leurs avocats ou mandataires durant l’état d’urgence sanitaire ».
Le 3 avril 2020, plusieurs associations et syndicats avaient rapporté au juge des référés du Conseil d’Etat toutes les difficultés rencontrées par les avocats pour visiter leurs clients détenus, pendant cette période de crise sanitaire.
Faute d’information, et dans le prolongement de la suspension des parloirs famille, certains établissements pénitentiaires avaient en effet interdit l’accès des parloirs aux avocats.
Lors de cette audience, les requérants et le juge des référés ont été assurés que, comme l’avait indiqué quelques jours plus tôt la Garde des sceaux devant les parlementaires, les avocats ne pouvaient se voir interdire l’accès à leurs clients, et que des conditions d’entretien conformes aux consignes de prévention de l’épidémie de Covid19 seraient garanties.
La note adressée à l’ensemble des établissements pénitentiaires afin d’organiser et de garantir le maintien des relations entre les avocats et leurs clients incarcérés, et plus généralement le respect des droits de la défense et l’accès au droit des personnes détenues, pose pourtant une étrange condition à l’accès des avocats aux parloirs.
« Une fois sur place, [les avocats] doivent attester sur l’honneur qu’ils ne présentent aucun des signes cliniques du covid-19 et qu’ils ne sont pas, ni n’ont été, en contact étroit avec une personne malade ou présentant de tels symptômes ».
A l’heure où le Ministère de la Santé affirme que plus de 80% des personnes contaminées demeurent asymptomatiques, vous prétendez subordonner l’accès d’un avocat à son client à une déclaration par laquelle il garantirait qu’il ne présente, lui-même, aucun des symptômes ou ne côtoie aucune personne malade ; impossible pourtant de s’engager à ne fréquenter aucune personne « porteuse saine » de la maladie.
Vous exigez ainsi de la profession des qualités divinatoires dont nous vous avouons ne pas être dotés.
Pensez-vous vraiment que les avocats ont besoin qu’on leur impose la signature d’une telle attestation sur l’honneur – sans valeur juridique – pour avoir conscience des conséquences de la propagation du virus au sein des détention, et notamment dans les maisons d’arrêt encore suroccupées malgré les mesures mises en œuvre depuis le 25 mars dernier.
Depuis le début de la crise sanitaire, les avocats se sont organisés pour limiter leurs visites, conscients que n’étaient pas mis à leur disposition les moyens nécessaires pour respecter les consignes de prévention et de distanciation sociale imposées par le Gouvernement, dans les parloirs exiguës des établissements pénitentiaires.
Vous savez parfaitement que les associations, les syndicats, les institutions représentatives de la profession ont été, depuis le premier jour, demandeurs de mesures permettant l’exercice de la défense dans des conditions sanitaires conformes aux exigences de prévention de l’épidémie : nous vous avons demandé de permettre à nos clients de nous contacter par téléphone pour limiter les risques d’introduction du virus, et nous avons été contraints de saisir le juge pour obtenir la mise à disposition de lieux de rencontre permettant le respect des gestes barrières.
Et vous jugez cependant nécessaire de menacer les avocats pour leur faire respecter « les consignes sanitaires » sous peine de se voir interdire l’accès aux établissements ?
Cette attestation sur l’honneur que vous instaurez n’a aucune valeur juridique et ne peut être perçue que comme une outrageante marque de défiance, voire une sourde menace, a fortiori lorsqu’elle s’accompagne comme dans certains établissements de la mention d’un mystérieux « archivage au secrétariat de Direction ».
Si cette condition relative à la rédaction d’une attestation est à l’évidence inutile pour garantir la prévention de l’épidémie, elle n’en porte pas moins atteinte aux droits de la défense des personnes placées sous votre garde car nous n’avons à justifier que de notre qualité d’avocat et de la régularité de notre désignation pour accéder aux parloirs.
Monsieur le Directeur, permettez-nous de nous interroger sur votre réelle motivtaion pour édicter un tel dispositif qui n’est appliqué ni aux personnels de votre administration, ni aux personnels soignants intervenant en détention.
Nous n’entendons pas nous soumettre à une telle exigence et vous prions de bien vouloir supprimer cette condition ubuesque, inutile, insultante et attentatoire aux droits de la défense.
Dans l’attente,
Nous vous remercions de croire, Monsieur le Directeur, à l’assurance de notre considération.
Estellia ARAEZ, Présidente du Syndicat des avocats de France
Jean-Baptiste BLANC, Président de la Fédération nationale des Unions de jeunes avocats
Benoît CHABERT, Président de la Confédération nationale des avocats
Christiane Féral-Schuhl, Présidente du Conseil national des Barreaux
Hélène FONTAINE, Présidente de la Conférence des Bâtonniers
Delphine GALLIN, Président du syndicat Avocats conseils d’entreprise
Catherine GAZZERI, Vice-Présidente de l’Avenir des Barreaux français
Amélie MORINEAU, Présidente de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D)
Christian SAINT-PALAIS, Président de l’Association des avocats pénalistes