Dans une décision rendue le 17 mars, le Conseil constitutionnel valide sans explication l’absence de tout contrôle d’un juge pendant les quatre premiers jours d’enfermement en zone d’attente : un camouflet pour les milliers de personnes étrangères[1] qui en pâtissent chaque année et une dérive vers l’arbitraire pour une institution qui s’affranchit des principes qu’elle prétend protéger.
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La loi prévoit que les personnes étrangères qui demandent l’asile à leur arrivée à la frontière ou auxquelles l’entrée en France est refusée au motif qu’elles ne remplissent pas les conditions exigées par la réglementation peuvent être « maintenues » par la police aux frontières dans des lieux d’enfermement qu’on appelle, par un doux euphémisme, « zones d’attente ».
Pendant les quatre jours qui suivent, la police n’a aucun compte à rendre à l’autorité judiciaire. Ce n’est qu’à l’issue de ce délai que le juge des libertés et de la détention peut contrôler les justifications et les conditions de cette privation de liberté et y mettre fin ou autoriser sa prolongation, à moins que la personne « maintenue » ait été refoulée entre temps vers son pays de provenance ou d’origine.
Interrogé sur la conformité de ce texte[2] à la constitution, le Conseil constitutionnel a sèchement répondu qu’il n’y voyait aucun problème. Curieuse conception de la protection de la liberté individuelle pour ce gardien de la constitutionnalité des lois qui avait pourtant solennellement déclaré jadis que «La liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible»[3].
Bien plus, alors même que ces quatre jours de « blackout judiciaire » ne répondent à aucune nécessité et qu’il avait été questionné sur cette contradiction, le Conseil est resté muet : pas un mot ne vient motiver, éclairer, justifier sa décision en forme de pétition de principe .
Pour déclarer ex abrupto que les dispositions contestées sont conformes à la Constitution, il se contente de constater que : « le maintien en zone d’attente est destiné à permettre à l’administration d’organiser le départ de l’étranger qui ne satisfait pas aux conditions d’entrée en France ou, dans le cas d’un étranger qui demande à entrer en France au titre de l’asile, de vérifier si l’examen de sa demande relève de la compétence d’un autre État membre ou si elle n’est pas irrecevable ou manifestement infondée » .
Le décryptage de ce qui tient lieu ici de raisonnement en révèle la vacuité : puisque la loi est faite pour satisfaire les objectifs de l’administration, elle est nécessairement conforme à la Constitution.
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Le Conseil n’a même pas estimé nécessaire d’expliquer pourquoi il faisait prévaloir les objectifs de l’administration sur l’objectif de sauvegarde de la liberté individuelle, alors même qu’il a pour mission d’opérer une conciliation entre les uns et les autres. De même, il a balayé sans un mot le droit à un recours effectif que les associations et la personne concernée invoquaient également pour demander un contrôle plus rapide de l’autorité judiciaire sur cette atteinte à la liberté individuelle.
Même la Cour de cassation en sera pour ses frais, qui avait estimé nécessaire de faire examiner cette question par le Conseil constitutionnel en soulignant qu’elle présentait « un caractère sérieux, en ce que le délai de quatre jours … pourrait être considéré comme excessif ».
Au déni des exigences de la liberté individuelle, s’ajoute ainsi le vice qui entache la décision du Conseil constitutionnel : cette institution qui n’a de cesse de revendiquer le statut de Cour constitutionnelle néglige ostensiblement le devoir impérieux qui s’impose aux juges de motiver leurs décisions. En s’affranchissant de cette exigence essentielle, le Conseil constitutionnel ne peut qu’alimenter le soupçon d’arbitraire qui pèse sur ses décisions.
Nos organisations continueront d’utiliser toutes les voies de droit pour exiger l’intervention du juge judiciaire dès les premières heures de maintien en zone d’attente.
[1]5 064 en 2020 cf. http ://www.anafe.org/
[2]Article L. 341-1 du code l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Céseda)
[3]Cons. const., 9 janvier 1980, n° 79-109 DC.