Le rapport du comité indépendant des états généraux de la justice va enfin être remis au président de la République, après plusieurs mois d’attente – le rapport est achevé depuis avril dernier – durant lesquels les nombreuses fuites auront fait perdre à cet événement la portée politique qui en était attendue.
Les ambitions affichées par le président de la République étaient de « restaurer le pacte civique entre la Nation et la Justice », « fonder clairement l’indépendance de la justice » et « repenser le service public de la justice dans un triple souci d’effectivité, de lisibilité et d’ouverture sur la société ».
Les 100 premières pages de ce rapport dressent le constat d’une crise profonde de la justice, résultant de décennies de politiques publiques défaillantes.
La justice y est décrite comme une institution « au bord de la rupture », qui ne parvient plus à trancher les litiges dans des conditions décentes et des délais raisonnables et ne protège plus les personnes les plus fragiles. Les parquets submergés sont « sous extrême tension », les acteurs de la justice sont « en souffrance », les prisons surpeuplées freinent la réinsertion.
100 pages pour décrire ce que l’on savait déjà et que les professionnels ont massivement dénoncé cet automne dans la suite de la Tribune des 3 000.
Les délais de jugement en matière civile ont doublé dans les tribunaux judiciaires entre 2005 et 2019 1 mais il aura fallu une « grande consultation inédite » à 1 million d’euros pour confirmer que les citoyens trouvent leur justice trop lente 2 …
Le comité Sauvé avance des « pistes ». Il affirme surtout que la justice ne pourra pas remplir ses missions tant que ses moyens humains et matériels resteront aussi indigents, et estime indispensable le recrutement en 5 ans de 1 500 magistrats, 3 000 greffiers, 2 000 agents administratifs et 2 000 juristes assistants.
Mais au-delà des moyens humains indispensables qui doivent arriver sans tarder, que retiendra de ce rapport un gouvernement qui n’a jusqu’à présent pas pris la mesure de la situation ? Comprendra-t-il qu’il est temps, après des décennies de négligence politique et d’affaiblissement d’une autorité judiciaire qui reste dans l’attente d’un statut digne d’une véritable démocratie, de considérer la justice comme une institution indispensable à l’État de droit et un service public accessible qui doit répondre dans des délais raisonnables à un fort besoin social ? Le législateur entendra-t-il enfin qu’il noie la justice sous une prolifération normative, souvent de circonstance, et que la justice mérite mieux que des réformes de simplification qui compliquent tout et restreignent les droits fondamentaux ?
Nos organisations seront vigilantes à ce que ces constats donnent lieu à des réformes qui permettront de retrouver une justice de qualité, seule à même de restaurer la confiance des citoyens et mettre un terme à la souffrance éthique de ses professionnels.
Cela doit nécessairement passer par des mesures fortes : rendre la justice pleinement indépendante, réhabiliter le temps de l’audience et la collégialité des décisions, mettre fin à la précarisation de la justice et la fragilisation de son statut, mettre un terme à la simplification des procédures et la barémisation des litiges qui ne visent qu’à restreindre l’accès au juge, cesser de transférer toujours plus et au mépris des droits de la défense le pouvoir de sanction des juges au profit des procureurs voire de la police, s’attaquer enfin au problème de la surpopulation carcérale qui fait perdre tout sens à la peine.
Si l’indispensable hausse des moyens fait désormais consensus politique – parce que les professionnels de la justice se sont massivement mobilisés pour cela, cette hausse ne suffira pas à atteindre les objectifs ambitieux donnés au comité Sauvé. Les réformes doivent permettre à la justice de retrouver la confiance perdue de ses usagers en tant que service public et sa crédibilité en tant qu’autorité judiciaire.
1 Délai moyen de traitement d’une affaire : 6,7 mois en 2005 et 13,9 mois, p. 39 du rapport EGJ
2 Principaux enjeux exprimés par les citoyens en termes de justice, p. 71