« Aucun recours devant le juge judiciaire ne permet [à une personne placée en détention provisoire] d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire. » Le constat est clair, la sanction forte. Par une décision du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel vient de consacrer l’interdiction de soumettre les personnes détenues à des conditions d’incarcération contraires à la dignité humaine.
L’histoire débute en 2012, à Marseille. À la suite d’une visite du centre pénitentiaire des Baumettes, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté émet, en urgence, des recommandations aux fins de faire cesser les violations graves aux droits fondamentaux des personnes détenues résultant des conditions de détention dégradantes qui leur étaient imposées. S’appuyant sur ce rapport, l’Observatoire international des prisons-section française (OIP-SF) saisit le juge des référés, lui demandant de contraindre l’administration à corriger la situation. Le Conseil d’État actera rapidement de son impuissance en ne prononçant que quelques mesures insuffisantes pour remédier à l’indignité des conditions d’incarcération.
L’histoire s’est ensuite répétée à l’identique. À Fresnes, Nîmes, Nice, Ducos (Martinique), Baie-Mahault (Guadeloupe) et Faa’a Nuutania (Polynésie). À chaque fois, les juridictions font le constat de conditions de détention si dégradées qu’elles constituent des traitements inhumains. À chaque fois, les mesures prononcées se sont révélées insuffisantes pour rétablir les droits fondamentaux des prisonniers.
Le 30 janvier 2020, c’est alors à la Cour européenne des droits de l’homme de se prononcer, au terme d’une campagne contentieuse portée par l’OIP avec le soutien du Syndicat des avocats de France (SAF) et de l’association des Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D). Dans un arrêt historique concernant 32 requérants, la plus haute juridiction européenne a sévèrement condamné la France en constatant « l’existence d’un problème structurel » en matière de surpopulation carcérale et en exigeant « l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ». La Cour a dans le même temps imposé à la France de mettre en place « un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective, en combinaison avec le recours indemnitaire, de redresser la situation dont ils sont victimes ».
Le 8 juillet dernier, prenant acte de cette condamnation européenne, la Cour de cassation a créé, en urgence et en dehors du cadre légal applicable, un mécanisme d’examen des conditions de détention des personnes incarcérées dans l’attente de leurs procès, en exigeant des magistrats qu’ils tiennent compte de la situation concrète de chacune d’entre elles lorsqu’ils sont amenés à statuer sur leur remise en liberté. Dans le même temps, elle a saisi le Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité.
Dans une décision qui brille par sa clarté et sa fermeté, le Conseil constitutionnel vient de sanctionner le silence de la loi. Rappelant que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle », le Conseil relève qu’il incombe donc « au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir un juge de conditions de détention contraires à la dignité humaine, afin qu’il y soit mis fin ». Faute d’avoir prévu un tel mécanisme de recours, ce der- nier a donc méconnu l’étendue de sa compétence et méprisé les droits des personnes détenues. Le juge constitutionnel appelle ainsi le Parlement à se saisir de la question pour leur ouvrir une voie de recours avant le 1er mars 2021.
Après huit années de combat contentieux mené par l’OIP avec le soutien du SAF et de l’A3D, la Parlement va donc, dans les prochaines mois, devoir débattre et adopter la réforme qu’impose la décision constitutionnelle. Nos trois organisations, qui ont défendu la question prioritaire de constitutionnalité examinée par le Conseil, participeront activement à ces débats et veilleront à ce que le mécanisme mis en place assure enfin le respect du droit à la dignité des personnes incarcérées, qu’elle soit prévenues ou condamnées.
Signataires :
SAF, OIP, A3D