PUBLIÉ LE 27 mars 2015

Le projet de loi « pour la croissance et l’activité » comprend une partie relative au droit du travail qui, pour l’essentiel, n’a pas sa place dans un tel texte : contrairement à ce que laissent entendre ses auteurs, les droits des salariés ne sont pas un frein à l’emploi, ni un coût pour l’économie.

C’est au contraire le non respect de leurs droits qui génère blocages et surcoûts.

Ces dispositions sont dictées par :

·      la volonté artificielle d’afficher, pour les agences de notation ou la Commission Européenne, l’image d’un pays en mouvement qui se réforme, celle-ci n’étant entendue que comme une flexibilisation et une précarisation des travailleurs ;

·      la volonté de répondre aux exigences du patronat, qui ne voit de création d’emplois que dans la liberté de licencier !

 

Si la première lecture du texte à l’Assemblée a permis de modifier à la marge certaines dispositions néfastes pour les salariés, elle n’est revenue ni sur la philosophie de ce texte, ni sur l’essentiel des mesures, non acceptables.

  1.  La réforme de la prud’homie devrait être retiré du projet de loi

 

La réforme de la prud’homie est une chose trop importante pour la laisser aux financiers de Bercy. Cette partie du texte doit être retirée pour être traitée par la Chancellerie, comme cela a été fait, curieusement, pour les tribunaux de commerce !

 

A défaut de retrait, la loi doit nécessairement être améliorée sur les points suivants :

 

·      la formation continue des conseillers prud’homaux demeure facultative et imprécise alors qu’il convient de l’aligner sur celle des Juges Départiteurs ; le statut du défenseur syndical doit être précisé s’agissant du temps d’activité et des moyens ;

·      le rôle de Mise en état du bureau de conciliation doit être systématisé pour assurer, de manière paritaire, l’équilibre des forces par l’obligation aux employeurs de communiquer tous les éléments de la procédure justifiant leur décision ;

·       la mise en place d’une formation restreinte et rapide est illusoire sans véritable Mise en état ;

·       le recours au juge départiteur, en fonction de « la nature du litige » sans autre précision, n’est pas acceptable, privant les parties de la conduite du procès et constituant un contournement du paritarisme.

En tout état de cause, doivent être retirées du projet :

 

·      la procédure participative qui interdit au salarié de saisir directement le conseil de prud’hommes, d’autant qu’elle ne fait que complexifier et renchérir la procédure et ne répond à aucun besoin sinon des lobbies qui en ont fait leur fonds de commerce ;

·      la barémisation des préjudices même sous forme de prétendu « simple référentiel » qui méconnait l’individualisation des litiges et des préjudices et renforce l’inégalité des victimes devant la fiscalité et les nouveaux différés de prise en charge par POLE EMPLOI.

Enfin, discuter des règles sans mettre en face les moyens (juges départiteurs, greffiers, temps indemnisé d’examen des dossiers par les juges etc.) ne peut constituer un progrès.

N’oublions pas que :

·      le nombre insuffisant de juges départiteurs conduit aujourd’hui à des délais d’audiencement de 15 à 18 mois après la première audience devant certains conseils de prud’hommes ;

·      les conseillers ne disposent que d’une heure préparatoire pour étudier les dossiers avant l’audience, alors même que le dépôt des pièces préalable est impossible.

Cette question ne doit pas être enterrée et le SAF continuera à faire condamner l’État sur ce fondement lorsque les délais sont déraisonnables.

 

2.     Concernant les suppressions d’emploi, aucune avancée sérieuse n’est issue du débat parlementaire

Par dogmatisme libéral, le peu de contrôle des licenciements collectifs restant après la loi dite de sécurisation de l’emploi est remis en cause.

Doivent être retirées du projet :

 

·      la possibilité pour l’employeur de décider unilatéralement d’un périmètre plus restreint que celui de l’entreprise pour appliquer les critères déterminant les choix des salariés à licencier ;

·      l’absence de contrôle par l’administration des procédures de licenciement collectif de moins de 10 salariés pour les entreprise de plus de 50 ; cette disposition incitera ces entreprises à morceler les procédures de licenciements collectifs pour échapper plus facilement aux règles de licenciement collectif ;

·      la limitation des solutions de reclassement au niveau national, le salarié ayant seulement la possibilité d’accéder, sur demande, à la liste des emplois situés hors du territoire national ;

·      l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi par l’administration au regard des seuls moyens de l’entreprise et non du groupe en cas de redressement et de liquidation judiciaire ; cette disposition incitera purement et simplement les groupes internationaux à préférer fermer une entreprise sur le territoire français plutôt que d’investir dans cette société et d’appliquer un plan de sauvegarde de l’emploi au regard des moyens du groupe.

 

3.    Concernant la dépénalisation du délit d’entrave

 

Initialement, le projet de loi Macron prévoyait en son article 85 d’autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures visant à « réviser la nature et le montant des peines et des sanctions applicables en cas d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel ».

Il n’était pourtant pas acceptable qu’une mesure aussi importante ne soit pas examinée et votée le cas échéant par le Parlement, ce que le Parlement a entendu en légiférant directement.

Mais sur le fond, le projet reste inacceptable : il supprime les peines de prison pour les atteintes au fonctionnement régulier des institutions qui donneraient désormais lieu à une simple amende, dont le montant n’est de surcroît pas suffisamment dissuasif (de 7 500 € à 35 000 €).

Le message adressé aux employeurs est grave : sous une apparence de respect des droits des salariés (ne pas organiser d’élections peut encore être puni d’une peine de prison) les moyens de les faire réellement respecter sont supprimés, puisqu’une fois que l’instance est mise en place, peu importe qu’elle ne puisse pas fonctionner normalement…

 

4.     Concernant le travail nocturne et dominical

Quelques atténuations de dispositions du projet ont permis d’en limiter certains effets néfastes tels que :

·      la délimitation plus précise et plus limitée des zones touristiques et des zones commerciales ;

·      l’impossibilité d’imposer le travail le dimanche par décision unilatérale de l’employeur dans les nouvelles zones touristiques et commerciales créées.

Mais de nombreuses dispositions contestables demeurent.

En effet, le travail du dimanche a toujours été présenté comme reposant uniquement sur la volonté des salariés, argument principal avancé par le gouvernement.

Or, les 5 dimanches ne sont plus de droit mais la possibilité pour le maire d’en instituer 12 reste, sans condition d’acceptation du salarié. Dans un tel cas, la décision unilatérale de l’employeur pourra s’imposer au salarié.

 

Le projet de loi ne définit toujours pas les conditions de recueil du volontariat. Pourtant, le seul moyen d’éviter une discrimination à l’embauche est de limiter la sollicitation de l’employeur aux salariés en CDI ayant terminé leur période d’essai.

 Surtout, le projet de loi ne prévoit pas clairement la possibilité pour les salariés de revenir sur leur acceptation du travail le dimanche et il n’existe aucune avancée concernant le « droit de retour » pour les salariés qui voudraient revenir sur leur décision de travailler la nuit dit « de soirée » dans les zones touristiques internationales.

 La loi prévoit seulement que « L’accord collectif mentionné au II de l’article L. 3132-25-3 détermine les modalités de prise en compte d’un changement d’avis du salarié privé du repos dominical. ».

 Pour éviter cette nouvelle précarisation, le projet de loi pourrait être précisé selon la rédaction suivante :

 « Tout travail le dimanche, institué pour quelque motif que ce soit, ou travail de nuit ou dit de soirée, est soumis à l’acceptation expresse et non équivoque du salarié concerné. Le salarié peut revenir à tout moment sur sa décision sans que ce revirement ne puisse entraîner aucune sanction de quelque nature que ce soit. La décision du salarié de ne plus travailler le dimanche ou en soirée doit être mise en œuvre dans les trois mois après sa manifestation sans aucune conséquence sur son salaire excepté la majoration prévue pour le travail dominical ou de soirée».

 De surcroît, aucun plancher de compensation pour le travail le dimanche n’est prévu. Cette compensation reste soumise à la négociation dans le cadre des accords collectifs. La loi doit prévoir un minimum.

 Enfin, les nouvelles dispositions permettant le travail de nuit dans les zones touristiques internationales portent atteinte à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Ce critère prévu par l’article L.3122-32 du Code du Travail semble purement et simplement supprimé dans ces zones.

 La deuxième condition relative au caractère exceptionnel du travail de nuit est également supprimée puisqu’il n’a même plus à être justifié par les « nécessités d’assurer la continuité du service économique ou les services d’utilisé sociale ». Ainsi, il n’existera plus aucune garantie pour les salariés du seul fait qu’ils travaillent dans « une zone touristique internationale » décidée par le ministre.

Le projet de loi devra être modifié afin de protéger et respecter la santé et le volontariat des salariés.

Paris, le 27 mars 2015

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