PUBLIÉ LE 8 octobre 2019

Moins d’un an après l’entrée en vigueur de la loi Collomb du 10 septembre 2018, le gouvernement a ouvert au parlement un débat sur « la politique migratoire de la France et de l’Europe », lequel se tiendra jusqu’au 9 octobre prochain.

En parallèle le premier ministre Édouard Philippe a confié au Conseil d’État le soin de réfléchir à une énième réforme du contentieux des étrangers, de simplification cette fois. De manière politiquement opportune, le groupe de travail constitué à cet effet devra rendre ses conclusions pour le 15 mars 2020, soit une semaine avant le premier tour des élections municipales.

La ficelle est usée jusqu’à la corde et bien que le gouvernement s’en soit défendu, il ne s’agit pas de débattre mais de préparer le  durcissement de la législation  des étrangers soumise à des réformes incessantes ces vingt dernières années.

Il suffit de constater que le gouvernement n’a convié dans ce « débat » ni la société civile, ni les associations, ni les syndicats, et ni les principaux intéressés, à savoir les immigrés eux-mêmes. Il s’agissait ainsi d’écarter toute voix discordante pour faire adopter un futur projet par un Parlement qu’il considérait comme acquis.

Il semble que le gouvernement a finalement décidé de rétropédaler en raison de tensions qui menaçaient de se faire jour au sein de sa majorité sur ce sujet, ce qu’il n’avait pas prévu.

La vigilance reste néanmoins de mise et oblige aussi bien à dénoncer les procédés trompeurs dont le gouvernement a usé que de rappeler quelques évidences.

Tout comme il l’avait fait avec les documents présentés lors du débat sur la loi Collomb, le gouvernement produit des arguments pour certains chiffrés mais interprétés de façon biaisée voire fallacieuse, s’agissant d’une question qui n’apparaît pas comme l’une des principales préoccupations des français-e-s, bien loin derrière celles découlant de leurs conditions de vie et de travail.

Les flux migratoires seraient en baisse et les actions de solidarité avec les partenaires européens auraient permis un meilleur accueil des réfugiés.

Est-il besoin de rappeler que depuis l’année 2000, 40 000 personnes sont mortes ou portées disparues lors de leur tentative de traversée de la Méditerranée, qu’en 2018, pour 142 000 personnes arrivées sur les côtes européennes, 2 777 sont mortes ou portées disparues ?

Le Président Macron nous dit que la France serait humaniste à tel point qu’elle en deviendrait laxiste.

Or, la France a largement participé à l’extension de la compétence territoriale des garde-côtes libyens, leur livrant les exilé-e-s qui tentent de fuir l’enfer qu’est devenu la Libye, les renvoyant ainsi directement dans des camps où ils / elles seront réduit-e-s à l’esclavage et soumis-e-s à des violences physiques et sexuelles.

Elle a également largement contribué, par son silence, à la répression des organisations non gouvernementales telle que SOS Méditerranée et n’a jamais ouvert l’un de ses ports à l’un de leur bateaux de sauvetage.

Dans le document provisoire adressé aux parlementaires, censé poser les termes du débat, le gouvernement présente la France comme le « deuxième pays européen en termes de demandeurs d’asile ».

Il oublie cependant à dessein de ramener les chiffres à la population de chaque pays, faisant passer la France au 9ème rang européen des pays accueillant les réfugiés.

Le gouvernement reprend ensuite l’argumentaire nauséabond tendant à distinguer le « vrai réfugié » du « faux réfugié » venu profiter de la prise en charge de ses soins médicaux à 100 % grâce à son statut de demandeur d’asile. Les ressortissant-e-s géorgien-ne-s et albanais-e-s sont directement visé-e-s, à grand renfort de reportages télévisés et de discours.

Si la Géorgie et l’Albanie figure sur la liste des pays d’origine considérés comme sûrs par l’OFPRA, il n’en demeure pas moins que nombre des ressortissant-e-s de ces pays se voient reconnaître chaque année une protection par la France. Stigmatiser une nationalité à des fins purement électoralistes ne saurait être une méthode sérieuse pour aborder une question d’une telle envergure.

La France serait trop attractive parce qu’elle offrirait des conditions matérielles d’accueil bien plus avantageuses que plusieurs pays de l’Union européenne. Cette attractivité serait à l’origine de l’arrivée « massive » d’exilés, faux demandeurs d’asile. Qui choisirait la France pour vivre à la rue de longues semaines voire mois ? Qui accepterait de vivre dans un gymnase et d’y mourir dans l’indifférence générale ?

Tout est mis en œuvre pour retarder le plus possible la prise en charge des demandeur-se-s d’asile par une application très stricte du règlement dit Dublin III qui enferme les exilé-e-s dans des procédures administratives extrêmement complexes. Pourtant le Président de la République, alors candidat  avait dénoncé l’absurdité de  ce texte.

Quant à l’éloignement, rappelons que la loi Collomb a fait passer la durée maximum de rétention administrative de 45 à 90 jours et a réaffirmé la légalité de la rétention des mineur-e-s, en dépit de multiples condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.

Le gouvernement avance une augmentation de 10 % des éloignements contraints en 2018, tout en indiquant que les annulations juridictionnelles ou les difficultés juridiques sont autant d’obstacles à ces éloignements, préconisant « la formation des services interpellateurs » et « une modernisation du cadre juridique de la loi du 10 septembre 2018 ».

Cette loi qu’il a voulue pour faciliter les éloignements et qui instaure de nouvelles procédures encore plus complexes que les précédentes démontreraient déjà son inefficacité. De très nombreuses associations et syndicats, dont le SAF, avaient pourtant alerté sur l’inutilité de l’allongement de la durée de la rétention et les conditions indignes dans lesquelles les étranger-e-s sont retenu-e-s.

Le gouvernement doit cesser d’instrumentaliser la question de l’immigration en laissant croire qu’elle serait la première préoccupation des français-e-s, en particulier de la classe qu’il qualifie de populaire, et de se servir des exilé-e-s, qu’il a lui-même contribué à précariser par sa politique, à de seules fins électorales.

Faut-il rappeler que ce n’est pas la question migratoire qui a fait sortir, il y a près d’un an, des centaines de milliers de Français dans la rue, sans qu’à ce jour le feu de la protestation contre l’injustice fiscale et sociale ne soit éteint ?

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