PUBLIÉ LE 8 mars 2016

Il semblerait que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, ait confondu fiction et réalité, et ait de nouveau démontré, malgré lui, en quoi collecter des données officielles sur les contrôles d’identité est une nécessité en France.

Au cours du débat qui s’est tenu mercredi 2 mars au soir à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la réforme pénale, en particulier sur la proposition de délivrer des récépissés de contrôles d’identité, M. Cazeneuve a affirmé que les contrôles d’identité au faciès étaient un phénomène « tout à fait marginal ».

A l’heure actuelle, en l’absence de données officielles sur les contrôles d’identité et les fouilles qui les accompagnent, il est tout simplement impossible pour quiconque de dresser un tableau objectif et complet du nombre de contrôles effectués, de la façon dont ils sont conduits et de leur efficacité. Cependant, de nombreuses études menées ces dix dernières années attestent d’un recours massif aux contrôles d’identité de la part des forces de l’ordre, et soulignent leur caractère discriminatoire.

Une pratique très répandue

Il est ainsi avéré que le nombre de contrôles d’identité n’a cessé de s’accroître en France au fil des années, faisant de l’Hexagone l’un des pays européens y ayant le plus largement recours. Selon un sondage réalisé par OpinionWay et publié en mai 2014, 10 % de la population française, âgée de 18 ans ou plus, déclarent avoir été contrôlés au moins une fois lors des douze derniers mois, soit plus de 5,3 millions d’habitants. D’après les enquêtes disponibles, un pourcentage encore plus élevé de mineurs est régulièrement contrôlé. Ainsi, en 2008, une étude de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), portant sur un échantillon de 50 000 jeunes, affirmait que 28 % des jeunes de 17-18 ans avaient été contrôlés au cours des 12 mois précédents, soit 38 % des garçons et 16 % des filles interrogés. Parmi les contrôlés, 31 % l’avaient été plus de trois fois dans l’année.

La pratique est donc massive, et ceci est d’autant plus problématique que beaucoup de ces contrôles donnent lieu à une palpation ou une fouille au corps.

Plus inquiétantes encore sont les discriminations qui accompagnent ces contrôles. Les contrôles discriminatoires, ou dits « au faciès », sont aujourd’hui un problème notoirement reconnu qui affecte au quotidien des milliers de nos concitoyens.

En 2009, pour la première fois, une étude, menée conjointement par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Open Society Justice Initiative, sur cinq lieux répartis entre les différentes gares parisiennes et leurs abords immédiats, a produit des données quantitatives sur ce phénomène et en a révélé l’ampleur. Ainsi les individus perçus comme « noirs » avaient six fois plus de chances de subir des contrôles de police que ceux perçus comme « blancs ». Les individus perçus comme « arabes », quant à eux, étaient contrôlés en moyenne huit fois plus fréquemment que les individus perçus comme « blancs ».

Le sondage d’Opinion Way publié en 2014 révèle, lui aussi, l’ampleur des pratiques discriminatoires qui accompagnent ces contrôles d’identité. Pour les personnes ayant subi au moins un contrôle, le nombre moyen de contrôles par personne au cours des douze derniers mois s’élevait à 2,65. Cependant cette moyenne augmentait de manière significative pour plusieurs catégories : 4,76 contrôles au cours des douze derniers mois pour les personnes ayant des ascendants étrangers, et même 8,18 contrôles pour les personnes ayant des ascendants originaires d’Afrique du Nord. La moyenne atteignait un maximum de 10,64 contrôles lors de l’année passée pour les personnes qui estimaient avoir été contrôlés pour des motifs discriminatoires.

La politique de l’autruche

Afin d’appuyer ses déclarations devant les parlementaires, mardi soir, M. Cazeneuve a cité le rapport récemment publié par le collectif « Stop le contrôle au faciès », qui déclarait avoir reçu 294 plaintes pour contrôles au faciès au cours des cinq dernières années. Or, ce chiffre n’a bien entendu trait qu’aux données recueillies par ce collectif, et ne prétend pas être représentatif de l’étendue des contrôles d’identité ni de la façon dont ils sont effectués.

La tentative flagrante de M. Cazeneuve de nier la réalité des faits trahit l’engagement du candidat François Hollande, en 2012, de prendre des mesures pour lutter de façon efficace contre les délits de faciès. Bien au-delà d’une simple promesse de campagne, mettre fin à ces pratiques constitue une obligation au regard du droit.
Après quatre ans au pouvoir, l’exécutif n’a non seulement pris aucune mesure susceptible de faire reculer ce phénomène, mais pire encore, il nie désormais une réalité qui pèse lourd sur la société française. C’est ce même gouvernement qui s’est également pourvu en cassation contre une décision de la cour d’appel de Paris de juin 2015 le condamnant pour discrimination à l’encontre de cinq jeunes hommes, contrôlés par la police, sur la base de leur origine.

Les propos tenus par le ministre de l’Intérieur au sujet des contrôles au faciès semblent dévoiler les véritables raisons pour lesquelles le gouvernement est si catégoriquement opposé à la délivrance de récépissés de contrôle. Sans traces officielles de ces contrôles, le phénomène et son ampleur peuvent ainsi être très facilement niés. Malheureusement, pratiquer la politique de l’autruche ne résoudra en rien le problème qui lui est bien réel.

Cette tribune est signée par les organisations suivantes :

Eclore, Gisti, Human Rights Watch, Maison Communautaire pour un Développement Solidaire, Open Society Justice Initiative, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des Avocats de France

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