PUBLIÉ LE 11 mai 2022

Ironie du calendrier, Emmanuel Macron à peine réélu, la Cour de cassation valide la plus emblématique des atteintes portées au Code du Travail par ses Ordonnances de 2017 : le barème qui plafonne l’indemnisation du salarié abusivement licencié en fonction de sa seule ancienneté ne serait pas contestable pour la plus Haute Juridiction.

Les Conseils des prud’hommes et les Cours d’appel ont pourtant été nombreux à résister, aux quatre coins de la France, à cette réforme si dangereuse, tenant compte des engagements internationaux qui obligent la France à assurer une indemnisation adéquate des préjudices des salariés licenciés sans cause réelle ni sérieuse.

Beaucoup ne se sont pas découragés à la suite des avis lapidaires de l’Assemblée plénière du 17 juillet 2019. Mais c’est désormais la Chambre Sociale qui tranche la question :

  • Elle confirme que l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT est bien invocable dans les litiges entre salariés et employeurs, mais pas l’article 24 de la Charte Sociale européenne, se prémunissant par avance de la décision du Comité Européen des Droits Sociaux qui devrait prochainement officialiser sa condamnation du barème français comme il l’a fait déjà des barèmes finlandais et italiens ;

  • Elle estime que le barème peut «  raisonnablement  » permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi, et que les juges français doivent donc se contenter de fixer l’indemnisation du salarié dans la limite incontournable du plafond, quelle que soit l’ampleur réelle des préjudices qui leur sont justifiés par les salariés dont l’ancienneté ne permettrait pas une juste prise en compte de leurs situations de santé, de famille, d’âge, etc…

 

La Cour de cassation devait assumer le rôle de verrou démocratique en charge de défendre le droit des salariés à recevoir une indemnité adéquate.

La Cour de cassation choisit de se faire complice de la réforme et impose de se contenter d’une « indemnité raisonnable ».

Raisonnable parce qu’elle n’inquiètera pas les employeurs qui ont obtenu leur sécurisation.

Raisonnable parce que les juges devront porter la muselière et les menottes que les Ordonnances Macron leur ont imposé, à la demande du patronat.

Mais est-ce raisonnable de fragiliser ainsi tout le droit du travail en permettant aux employeurs de licencier à vil prix les salariés et de budgéter par avance le coût très limité de leurs licenciements abusifs ? Quand on réduit les sanctions des fautes, on favorise leur multiplication.

Est-ce raisonnable de tant réduire l’enjeu financier des litiges que les salariés les moins anciens sont dissuadés d’aller aux prud’hommes, ne recevant donc même pas une faible indemnité, et renonçant totalement à leurs droits et à la justice ?

Ce plafond élaboré selon l’Etat sur la base du montant moyen des indemnisations accordées à l’époque, accompagné d’un plancher réduit de moitié (de 6 à 3 mois), est-ce réellement un avenir raisonnable pour le droit du travail et la justice prud’homale ?

La réponse est simple : NON.

La justice française n’est pas là pour préserver les institutions au détriment du droit et des travailleurs.

Le SAF déplore ces arrêts qui visent à assurer une sécurité comptable à l’employeur qui licencie injustement et donc illégalement.

Et les avocats du SAF demanderont aux juges français de résister.

Nous continuerons à prendre appui sur l’analyse si juste du Comité Européen des Droits Sociaux, dont on attend la décision sur le barème français.

Nous martèlerons que c’est aussi l’analyse de l’Organisation Internationale du Travail, dont la Cour de cassation n’a pas eu le courage de tenir compte, alors qu’elle a reçu à temps le rapport du Directeur Général du 16 février 2022 qui souligne qu’avec ce barème français « le pouvoir d’appréciation du juge apparaît ipso facto contraint » et « qu’il n’est pas à priori exclu que, dans certains cas, le préjudice subi soit tel qu’il puisse ne pas être réparé à la hauteur de ce qu’il serait « juste » d’accorder ».

Seule une nouvelle réforme permettra de se débarrasser de ce plafond inique. A l’heure des prochaines élections législatives, souhaitons que chaque salarié le mesure pleinement avant de glisser son bulletin de vote dans l’urne.

Les avocats du SAF continueront quant à eux de plaider sans relâche contre ce plafonnement des indemnités et espèrent que des juges poursuivront l’œuvre de résistance, tant que le code du travail ne reviendra pas à la légalité et n’assurera pas une indemnité adéquate aux salariés victimes de licenciements abusifs.

C’est ce qui nous semble, à nous, raisonnable.

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