Par un projet de décret prophétiquement dénommé « RIVAGE » (Rationalisation des Instances en Voie d’Appel pour en Garantir l’Efficience dit RIVAGE), le garde des Sceaux envisage diverses mesures affectant la justice civile visant – d’après lui – à rendre une justice dans des délais raisonnables.
Alors que les délais d’audiencement explosent devant toutes les juridictions et particulièrement celles de l’ordre judiciaire, que tous ses acteurs alertent sur l’asphyxie de la justice civile et le manque de moyens criant pour répondre aux besoins des justiciables, le Gouvernement choisit de répondre en réduisant encore l’accès au juge !
En effet, il est ainsi envisagé de :
- relever le seuil pour pouvoir interjeter appel d’une décision de première instance de 5 000 € à 10 000 € ;
- supprimer purement et simplement le droit d’appel dans certaines matières notamment les pensions et contributions alimentaires ; rendre obligatoire la tentative de règlement amiable (conciliation, médiation) pour les litiges d’un montant inférieur ou égal à 10 000 €, contre 5 000 € aujourd’hui ;
- ou encore instaurer un filtrage des appels au profit des présidents de chambre des cours d’appel, en leur confiant le pouvoir d’écarter les appels “manifestement irrecevables” . Ceci sans débat contradictoire préalable c’est-à- dire sans que les parties concernées soient entendues et sans recours de droit commun.
En réalité, le garde des Sceaux entend rendre la justice plus rapide au moyen de mesures radicales, constitutives d’un recul sans précédent quant à l’accès à la Justice et au double degré de juridiction.
Ainsi, plutôt que d’apporter des réponses visant à préserver les intérêts du justiciable, le Gouvernement tente d’imposer à nouveau une réforme arbitraire, toujours dans une même logique : moins de juges, moins de greffiers, moins de justice, moins de droits. Une réforme menée sans concertation réelle – eu égard aux délais impartis – ni avec les avocates et avocats, ni avec les magistrates et magistrats, et sans étude d’impact ou statistique sur les causes du non-respect des délais raisonnables.
Ces mesures s’inscrivent dans une situation d’enlisement de la justice civile dont sont victimes justiciables et professionnels du droit, comme le démontrent les prises de date introductive d’instance à des délais déraisonnables, les dates de fixation des audiences de plaidoiries devant la Cour d’appel à plusieurs années, ou encore les prorogations successives de délibérés.
Nous refusons cette vision comptable de la justice, devenue une simple variable d’ajustement.
Nous nous opposons à cette réforme supplémentaire qui pénalisera les plus fragiles, celles et ceux pour qui un litige de quelques milliers d’euros représente souvent des enjeux vitaux : un loyer, un salaire, une dette, une réparation…
Nous, syndicats d’avocates et avocats, exigeons un abandon immédiat de ces mesures, et appelons à une véritable concertation pour parvenir à une justice civile à la hauteur des enjeux.
A défaut, nous appellerons à une mobilisation massive et ferme de la profession, dans le seul intérêt des justiciables.
C’est la vague de trop !

