PUBLIÉ LE 1 mai 2023

À Mayotte, où le centre de rétention administrative de Pamandzi est en état de suroccupation chronique, les créations répétées, parfois pour quelques heures à peine, de locaux de rétention administrative (LRA) de « délestage » pour y enfermer des personnes en attente d’expulsion sont récurrentes. Avec l’opération Wuambushu, la machine s’est emballée : entre le 17 mars et le 19 avril le préfet a pris 44 arrêtés créant des LRA, pour des durées pouvant aller de 2 heures à 5 jours.

Au mépris de la loi, aucun de ces arrêtés n’a été publié avant l’ouverture des locaux qu’ils créaient, 4 ont été publiés le jour de l’ouverture (qui correspondait aussi au jour de fermeture du local) et 40 ont été publiés postérieurement à leur fermeture, faisant des rétentions dans ces locaux autant de détentions arbitraires. Autant dire que le préfet a tout fait pour empêcher un contrôle juridictionnel.

Constatant de plus que les conditions de rétention dans ces locaux n’offraient aucune des garanties prévues par les textes applicables, l’ADDE, la Cimade, le Gisti et le SAF ont saisi le tribunal administratif de Mayotte, le 21 avril, d’une requête en référé-liberté, lui demandant :
- d’enjoindre au préfet de Mayotte de cesser la pratique récurrente visant à la création successive de LRA prétendument temporaires et dont le caractère éphémère et aléatoire n’est justifié ni par le droit ni par les faits à Mayotte ;
- d’ordonner toute mesure utile afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales des personnes placées en local de rétention administrative à Mayotte, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard.

Dans son ordonnance datée du 29 avril, le juge des référés a pour l’essentiel donné raison aux associations, jugeant :
- sur le premier point, que « la succession régulière de fermeture et de réouverture, à quelques heures d’intervalle, des mêmes locaux de rétention administrative est dépourvue de toute justification »
- et sur le deuxième point, que « les associations et le syndicat requérants sont fondés à soutenir que les conditions de rétention dans les locaux de rétention administrative régulièrement créés par le préfet de Mayotte … ne permettent pas aux personnes retenues de contester utilement leur éloignement et leur placement en rétention administrative et portent ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction ».

Or le préfet semble totalement passer outre cette décision de justice puisqu’il a publié un communiqué sur Facebook affirmant le contraire : le tribunal « a rejeté ce jour la demande de fermeture des locaux de rétention administrative de Mayotte », dit-il, ajoutant qu’il « accueille avec satisfaction cette décision qui atteste de la légalité de ces structures, à la fois dans leur création, dans leur organisation et dans leur fonctionnement, ainsi que de leur conformité à la loi ».

Ce faisant, le préfet contredit allègrement les termes mêmes de l’ordonnance du juge des référés qui estime :
- que la pratique consistant à différer la publication des arrêtés de création des LRA « fait obstacle au contrôle effectif des conditions de rétention dans ces locaux par le procureur de la République et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté alors que ceux-ci sont chargés de veiller à ce que les conditions de rétention garantissent l’exercice effectif de leurs droits par les personnes retenues »
- que « cette pratique fait également obstacle à la présence de l’association Solidarité Mayotte, chargée à Mayotte d’assister les personnes placées en rétention administrative en application de l’article R. 744-21 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) », de sorte que le juge des référés « enjoint au préfet de Mayotte de se rapprocher de l’association Solidarité Mayotte pour évaluer avec elle les aménagements devant être mis en œuvre pour lui permettre d’exercer effectivement sa mission d’assistance »
- et, enfin, que  » l’accès libre à un téléphone n’est pas assuré en pratique dans les lieux de rétention administrative en litige« , contrairement aux prescriptions du 9° de l’article R. 761-5 du Ceseda, de sorte que le juge des référés « enjoint au préfet de Mayotte de prendre les mesures techniques nécessaires pour permettre aux personnes retenues dans les locaux de rétention administrative d’avoir accès à un téléphone leur permettant de passer au moins un appel de leur choix. »

C’est donc dans la succession de ces rappels à l’ordre quant aux conditions de rétention que le préfet voit une décision qui « atteste de la légalité de ces structures ». Faut-il lui rappeler que le juge des référés a au contraire ordonné que : « Le préfet de Mayotte justifiera des mesures prises pour l’exécution des injonctions prononcées aux trois articles précédents avant le 2 mai 2023 à 12h00, heure locale, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard » ?

De ce déni des règles de droit rappelées par une décision de justice, on retiendra que ce préfet a préféré communiquer des mensonges sur la sanction juridictionnelle des conditions de son opération Wuambushu plutôt que d’en reconnaître les failles.

Après la décision du tribunal judiciaire lui ordonnant « de cesser toute opération d’évacuation et de démolition des habitats », ce nouveau constat d’illégalité par le juge administratif vient rappeler que, même à Mayotte, tous les coups ne sont pas permis, et que la « restauration de la paix républicaine » dont se gargarise le ministre de l’intérieur ne saurait s’appuyer sur la violation des droits fondamentaux.

1er mai 2023

Signataires :

  • ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers)
  • Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·es)
  • SAF (Syndicat des avocats de France)

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