PUBLIÉ LE 25 mars 2019

 

 

Le Syndicat des avocats de France n’entend pas revenir sur l’ensemble des griefs qui sont susceptibles d’être soulevés contre les dispositions de la loi contestée, et qui ont déjà été exposés par les auteurs de la saisine et d’autres intervenants dans le cadre de « portes étroites ».

Il limitera ses observations :

– à l’article 3 de la loi créant l’article L.221-4 -1 du code de la sécurité intérieure, et précisément à la méconnaissance par le législateur du droit à un recours effectif,

étant d’emblée précisé que si d’autres intervenants ont déjà souligné l’absence de recours effectif devant le juge du référé liberté compte tenu de l’absence de garantie  que ce dernier puisse se prononcer avant la manifestation, il convient également de tenir compte, pour apprécier si le législateur a procédé à une conciliation équilibrée,  de l’absence de voie de droit appropriée permettant de faire juger de la légalité de l’arrêté portant interdiction de manifester (I) ;

– à l’article 6 de la loi créant l’article 431-9-1 du code pénal, et précisément à la méconnaissance par le législateur des principes de nécessité et de légalité des délits et des peines et du principe d’égalité devant la loi (II).

 

I – Méconnaissance du droit à un recours effectif par l’article 3 de la loi créant l’article L.221-4 -1 du code de la sécurité intérieure

1. Le Conseil constitutionnel a affirmé, sur le fondement de l’article 16 de la DDHC, le caractère constitutionnel du droit à un recours juridictionnel effectif (Cons. constit., décision n° 93-335 DC, 21 janvier1994, cons. 4).

A ce titre, le Conseil constitutionnel s’assure que les restrictions dans l’accès au juge procèdent d’une « conciliation équilibrée entre le droit  au recours juridictionnel effectif et l’objectif poursuivi par le législateur » (Conseil constit., décision n° 208-709 du 1er juin 2018, cons.10).

Si le droit au recours n’impose pas que ce dernier présente un caractère suspensif (Cons. const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 ;

(Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010), l’absence d’un tel caractère peut conduire, dans certaines circonstances, le Conseil constitutionnel  à constater que le législateur n’a pas procédé à une conciliation équilibrée entre les droits et objectifs en présence (Conseil constit., décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 ; Conseil constit., décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017).

Le commentaire de la décision précitée du 2 juin 2017 souligne que « le Conseil constitutionnel prend en compte le risque que la décision qui fait l’objet d’un recours produise des effets irrémédiables et porte, de ce fait, atteinte à un droit protégé ».

Le Conseil constitutionnel peut également être amené à constater, dans le cas d’un recours dépourvu d’effet suspensif, que le législateur n’a pas procédé à une conciliation équilibrée  lorsqu’il s’avère que le délai minimal qui sépare la notification de la décision administrative de la date d’exécution de la décision ne permet pas concrètement au juge de statuer avant que la décision ne produise ses effets (Conseil constit., décision n°2018-709 du 1er juin 2018, cons. 10).

Enfin, lorsqu’il estime que l’absence d’effet suspensif du recours n’entraîne pas à lui seul un déséquilibre, le Conseil constitutionnel tient compte de l’existence d’autres voies de droit  « permettant de contester utilement et dans les délais appropriés » la décision litigieuse (Conseil constit., décision n° 2011-153 QPC du 13 juillet 2011, et le commentaire sous la décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018).

A cet égard, l’atteinte au droit au recours peut résulter de la longueur excessive du délai nécessaire pour obtenir une décision du juge.

Dans sa décision n° 2017-691 QPC, le Conseil a censuré une disposition qui laissait au juge un délai de deux mois pour statuer sur un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une décision  de placement ou de renouvellement d’une mesure d’assignation à résidence, au motif que ce délai était excessif au regard de l’atteinte portée par la mesure (Conseil constit., décision n° 2017- 791 du 16 février 2018, cons. 18).

Dans sa décision n° 2015-494 QPC, il a jugé contraires à la Constitution les dispositions de l’article 99-1 du code de procédure pénale relatives aux demandes de restitution de biens placés sous main de justice au motif qu’aucun délai n’était imposé au juge d’instruction pour statuer sur ces demandes (Conseil constit., décision n° 2015-494 QPC du 16 octobre 2015, cons. 7).

2. Dans le cas présent, l’alinéa 5 du nouvel article L. 221-4-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que l’arrêté d’interdiction de manifester est notifié à la personne concernée au plus tard quarante-huit heures avant son entrée en vigueur.

Cette notification peut intervenir dans un délai encore plus réduit si la manifestation n’a pas été déclarée ou « lorsque le caractère tardif de la déclaration a empêché l’autorité administrative de respecter ce délai ».

Pour contester le bienfondé de cet arrêté, la personne concernée devra saisir le juge du référé liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

Sans doute, il est prévu à l’alinéa 6 de l’article L. 221-4-1 un accès facilité au juge du référé liberté, sans condition d’urgence, et, en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ce juge statue dans un délai de 48 heures.

Mais, d’une part, la méconnaissance de ce délai de quarante-huit heures ne donne lieu à aucune sanction.

D’autre part, compte tenu du temps pour le destinataire de l’arrêté de prendre les dispositions nécessaires pour introduire sa requête, il est probable que le juge du référé ne puisse statuer avant que la manifestation n’ait lieu.

Ce risque est d’autant plus élevé que le juge des référés pourra se trouver confronté à un grand nombre de requêtes.

Dès lors, en fixant un délai minimum de quarante-huit heures seulement, voire moins, entre la notification de l’arrêté et la manifestation, et en ne prévoyant aucun dispositif particulier assurant l’intervention du juge du référé liberté avant l’exécution de l’arrêté portant interdiction, le législateur n’a pas procédé à une conciliation équilibrée entre le droit au recours et les objectifs poursuivis.

Le déséquilibre est d’autant plus marqué qu’une manifestation doit être déclarée trois jours francs au moins en avance, de sorte qu’il était parfaitement possible pour le législateur de prévoir une notification deux jours francs avant la manifestation.

Un tel délai de deux jours francs aurait permis que le destinataire puisse disposer de quelques heures pour introduire la requête en référé ouvrant ensuite le délai de quarante-huit heures prévu par l’article L. 521-2 précité.

Au surplus, s’agissant du cas particulier d’une notification à moins de 48 heures, les dispositions légales n’encadrent pas de manière suffisamment précise le recours par l’autorité préfectorale à cette prérogative.

Plus précisément, l’absence de déclaration d’une manifestation ou son caractère tardif ne peuvent justifier à elles seules une notification de dernière heure, compte tenu des moyens dont dispose l’administration de déterminer plusieurs jours avant si une manifestation aura lieu.

La référence au« caractère tardif » de la déclaration ne permet pas de savoir si l’administration peut procéder à des notification de dernière heure en présence d’une déclaration réalisée dans les délais (entre 15 et 3 jours francs avant la manifestation) ou s’il faut que cette déclaration ait eu lieu hors délai.

3. Mais ce n’est pas tout, car à supposer que la brièveté du délai qui sépare la notification de l’exécution de la décision et l’impossibilité qui en résulte pour le juge des référés de se prononcer avant cette exécution ne suffisent pas à regarder la conciliation opérée par le législateur comme déséquilibrée, une autre difficulté vient s’ajouter et attester d’un tel déséquilibre : l’absence d’autres voies de droit permettant un contrôle de la légalité de l’arrêté portant interdiction de manifester dans un délai conforme à l’enjeu que représente, dans une société démocratique, une interdiction de manifester.

En effet, dans le cas d’une interdiction prévue par l’alinéa 1er de la disposition contestée, si le juge des référés statue après la manifestation, il ne pourra que prononcer un non-lieu puisqu’il n’y a aucune mesure à prendre.

Dès lors, le seul recours que pourra exercer le destinataire de l’arrêté sera un recours pour excès de pouvoir, soumis au droit commun et ne donnant lieu, à ce titre, à un jugement que plusieurs mois après son introduction.

En toute hypothèse, l’intervention du juge du référé liberté suppose une violation « manifestement illégale » d’une liberté fondamentale, ce qui ne permet pas un examen de la légalité de la décision, de sorte qu’un recours pour excès de pouvoir demeure indispensable.

Or, l’intervention du juge de l’excès de pouvoirs plusieurs mois après la manifestation n’est pas à la hauteur de l’enjeu démocratique qui est sous-jacent aux interdictions de manifester. Il est en effet impératif que les décisions prises par l’administration d’interdire de manifester puissent voir leur légalité examinée dans un délai rapproché, avant la fin du mouvement social dans lequel s’inscrit la manifestation ou dans les prolongements immédiats de ce mouvement.

Il faut également tenir compte d’une situation particulière, qui pourrait se produire dans la mesure où la loi ne fait pas obligation au préfet de recourir à l’interdiction de longue durée prévue par l’alinéa 4 de sorte que ce dernier peut réitérer des interdictions ponctuelles à l’égard de la même personne.

Dans ce cas, où plusieurs interdictions ponctuelles se succéderaient et seraient notifiés dans des délais qui empêcheraient à chaque reprise le juge des référés de se prononcer avant la manifestation concernée, une personne se verrait privée de son droit de manifester pendant plusieurs mois sans avoir pu accéder à un juge, ceci le temps que son premier recours pour excès de pouvoir soit jugé.

Dès lors, en ne prévoyant pas un recours adapté dans le cas où le juge du référé liberté ne pourrait statuer avant la manifestation, le législateur n’a pas apporté les garanties nécessaires à l’exercice d’un droit au recours effectif.

 

4. En définitive, pris isolément et plus encore ensemble, l’absence de garantie que le juge des référés se prononce avant la manifestation compte tenu de la brièveté du délai qui sépare la notification de la manifestation, d’une part, l’imprécision des dispositions permettant à l’administration de procéder à une notification plus tardive encore, d’autre part, et, enfin, l’absence de voie de droit permettant d’obtenir une décision sur la légalité de l’interdiction dans un délai approprié à l’enjeu d’une telle mesure, ont pour conséquence que le législateur n’a pas procédé à une conciliation équilibrée entre le droit au recours effectif et l’objectif de préservation de l’ordre public poursuivi.

Le Conseil constitutionnel ne pourra dès lors que constater que les dispositions de l’article 3 de la loi déférée sont contraires à l’article 16 de la Déclaration des droits de 1789.

La censure sera donc prononcée.

 

II – Sur la méconnaissance des principes de nécessité et de légalité des délits et des peines et du principe d’égalité devant la loi par l’article 6 de la loi créant l’article 431-9 du code pénal

 

1. S’agissant du principe de nécessité des délits et des peines, au titre de ces principes constitutionnels, l’article 8 de la Déclaration des droits de 1789 dispose que « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », ceci dans le prolongement de l’article 5 de la Déclaration, selon lequel « la Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société ».

Dans sa décision n° 96-377 du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a jugé que des dispositions ajoutant l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier parmi les infractions susceptibles d’être qualifiées d’acte de terrorisme, étaient contraires au principe de nécessité et de proportionnalité des peines dans la mesure où, en procédant ainsi, le législateur avait « entaché son appréciation d’une disproportion manifeste » (Conseil constit., décision n° 96-377 QPC du 16 juillet 1996, cons. 8 et 9).

Le Conseil relevait à cet effet que le comportement incriminé n’était pas « en relation immédiate avec la commission de l’acte terroriste » et que dans le cas d’une telle relation la répression serait assurée au titre d’autres infractions (préc., cons. 8).

Plus récemment, après avoir rappelé le caractère restreint de son contrôle, et cette fois au visa du principe de « nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines », le Conseil constitutionnel a censuré certains des termes de l’article 421-2-6 du code pénal incriminant l’entreprise individuelle terroriste dans la mesure où lesdits termes qualifiaient en acte préparatoire la recherche d’objets et de substances de nature à créer un danger pour autrui « sans circonscrire les actes pouvant constituer une telle recherche dans le cadre d’une activité terroriste », et qu’ils permettaient ainsi que soient réprimés des actes ne matérialisant pas, en eux-mêmes, la volonté de préparer une infraction (Conseil constit., décision n°2017-625 QPC du 7 avril 2017, Entreprise individuelle terroriste, cons. 17).

Avant cette dernière décision, le Conseil était déjà allé plus loin dans son contrôle en censurant au visa du « principe de nécessité des délits et des peines » des dispositions légales instituant une infraction au motif qu’elles reposaient sur des « critères manifestement inappropriés à l’objet poursuivi » (Conseil constit., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, cons. 43).

Ainsi, le contrôle qu’exerce le Conseil ne se limite pas à la proportionnalité de la peine mais s’étend à la nécessité même de l’infraction, au regard des finalités poursuivies par le législateur, avec cette exigence première que l’acte incriminé doit être en lien avec l’objectif poursuivi par la répression. Bien que restreint et ne visant en principe qu’à sanctionner une erreur manifeste d’appréciation du législateur, ce contrôle est toutefois susceptible de s’étendre au caractère approprié des critères utilisés par ce dernier.

Par ailleurs, ainsi que le montre la décision précitée 2017-625 QPC (cons. 28 et suiv), l’incrimination qui ne définit pas avec précision son champ d’application permet la répression de comportements dont la nécessité ne peut être validée, de sorte que le principe de nécessité se combine avec celui de la légalité des délits et des peines, dont découle l’exigence d’une loi claire et précise (Conseil constit., 16 septembre 2011, n°2011-163 QPC ;  4 mai 2012, n°2012-240 QPC, cons. 5).

L’exigence de clarté et de précision « s’impose non seulement pour exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infractions » (Conseil constit., 2 mars 2004, n° 2004- 492 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 5).

2. Dans le cas présent, l’article 6 de la loi adoptée insère dans le code pénal un nouvel article 431-9-1 qui punit de peines délictuelles, y compris privatives de liberté, la dissimulation volontaire du visage sans motif légitime au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis.

Il résulte des travaux parlementaires que la création de ce délit ne poursuit pas une finalité répressive, mais est destinée à renforcer les moyens de maintien de l’ordre en permettant aux forces de police de procéder à l’interpellation et au placement en garde à vue d’une personne ayant ainsi le visage dissimulé aux abords d’une manifestation, ce que la contravention prévue par l’article R. 645-14 ne permet pas.

Toutefois, le législateur ne s’est pas limité à correctionnaliser le comportement déjà prévu par cette contravention : il a modifié l’étendue et les condition d’application de l’infraction.

En effet, l’article R. 645-14 du code pénal punit « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public ».

Le Conseil d’Etat a pu souligner que cette contravention – qualifiée d’ailleurs de mesure de police – était incriminée de telle manière que n’était visée qu’une dissimulation réalisée par des individus dans l’intention de ne pas être identifiés  « dans un contexte où leur comportement constituerait une menace pour l’ordre public que leur identification viserait à prévenir » (CE, 23 février 2011, n° 329477).

Ainsi, là où la contravention suppose un dol spécial qui établit un lien entre le comportement réprimé et les troubles à l’ordre public, l’article 431-9-1 punira le fait de dissimuler son visage indépendamment d’un comportement de la personne concernée avec les troubles à l’ordre public, pour la seule raison qu’elle se trouve au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation ou de tels troubles se produisent, ou se produiront ou seraient susceptibles de se produire.

Une personne souhaitant ne pas être identifiée pour des raisons sans lien avec des troubles à l’ordre public – volonté de garder l’anonymat pour des raisons personnelles ou politiques ; volonté d’afficher un signe de ralliement tel qu’un masque – pourra relever de  la répression pénale, sauf à démontrer un « motif légitime » dont la loi ne précise pas la teneur.

La difficulté qui résulte de cette absence de lien entre le comportement incriminé et les troubles à l’ordre public est d’autant plus sérieuse que les autres conditions prévues par le texte sont d’une imprécision incompatible avec la rigueur attendue d’un texte  permettant le prononcé de sanctions privatives de liberté : le lien une manifestation est purement géographique – « au sein ou aux abords immédiats » ; les troubles à l’ordre public peuvent n’être que virtuels –« risquent d’être commis », ou seulement  futurs – « à l’issue » de la manifestation ; ces troubles à l’ordre public ne sont soumis à aucune condition de gravité.

En ne limitant pas le champ d’application du délit par un critère reliant le comportement consistant à se dissimuler le visage avec les troubles à l’ordre public commis ou susceptibles d’être commis au cours de la manifestation au sein ou aux abords de laquelle la personne concernée se trouve, le législateur a entaché la loi d’une disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.La censure s’impose de ce premier chef.

3.  S’agissant ensuite du principe de légalité et l’exigence de clarté et de précision de la pénale, on sait que le Conseil constitutionnel impose au législateur de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (Cons. constit., décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 ; Cons. constit., décision 84-183 DC du 18 janvier 1985 : inconstitutionnalité d’une disposition réprimant, dans le cadre des procédures collectives, des actes de « malversation » ;Cons. constit., décision 2000-433 DC du 27 juillet 2000 : inconstitutionnalité d’une disposition prévoyant la responsabilité pénale des hébergeurs de sites internet pour les infractions commises sur un de ces sites lorsque, saisis par un tiers, ils ne procèdent pas aux « diligences appropriées » ; Conseil constit., décision n°2012-240 QPC du 4 mai 2012 : inconstitutionnalité de l’article 222-33 du code pénal réprimant « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » ; voir également Conseil constit., décision n° 2011-163 du 16 septembre 2011, cons. 4).

Au regard des éléments qui précèdent et de ceux qui ont déjà été exposés par d’autres intervenants, l’article 6 de la loi ne répond pas aux exigences de clarté et de précision.

L’exposant souhaite uniquement ajouter que le Conseil d’Etat n’a considéré l’article R. 645-14 précité du code pénal suffisamment précis que dans la seule mesure où il permet « l’exclusion explicite de toute contravention à l’encontre de manifestants masqués dès lors qu’ils ne procèdent pas à la dissimulation de leur visage pour éviter leur identification par les forces de l’ordre dans un contexte où leur comportement constituerait une menace pour l’ordre public que leur identification viserait à prévenir » (CE, 23 février 2011, n° 329477).

Or, ainsi qu’il a été vu, les termes employés par l’article 6 de la loi ne prévoit aucun lien matériel ou potentiel entre la dissimulation et un comportement constituant une menace à l’ordre public.

Plus précisément, en incriminant de manière très large le délit et en réservant le soin au juge pénal d’apprécier si le prévenu peut établir un « motif légitime » à la dissimulation de son visage, le législateur a renvoyé au juge le soin de fixer les limites du droit de circuler avec le visage dissimulé.

Est-il légitime pour un manifestant de se dissimuler le visage pour échapper à une identification par ses proches ou son employeur ?

Est-il légitime d’émettre des revendications en portant un masque de type de celui du mouvement « anonymous » ?

Ces questions qui relèvent de la compétence du seul législateur sont désormais renvoyées au juge compte tenu de l’imprécision des termes de la loi.

C’est en ce sens, notamment, que les dispositions de l’article 6 de la loi ne répondent pas à l’exigence de clarté et de précision de la loi pénale qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de 1789.

La censure s’impose là encore.

4. Enfin, s’agissant du principe d’égalité devant la loi, ce dernier est méconnu lorsque des faits qualifiés par la loi de façon identique peuvent, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuite, faire encourir à leur auteurs des conséquences pénales différentes qui ne sont justifiées par aucune différence de situations (Conseil constit., décision n°2013-328 APC28 juin 2013, n° 2013-328 QPC).

Or, un même comportement de dissimulation du visage peut faire l’objet de poursuites différentes, l’une de nature contraventionnelle, l’autre de nature délictuelle, sans que le législateur n’ait prévu de critères de distinction objectifs et en lien avec la finalité poursuivie par la loi.

Et s’il existe une différence entre les deux incriminations, elle est à rebours de la finalité poursuivie, puisque la dissimulation du visage avec une intention d’échapper à toute identification dans un contexte faisant craindre que la personne concernée va porter  atteinte à l’ordre public est réprimée d’une simple peine d’amende, alors que la dissimulation du visage au sein ou aux abords d’une manifestation donnant lieu ou susceptible de donner lieu à des troubles à l’ordre public sera punie d’une peined’emprisonnement sans qu’un lien entre cette dissimulation et ces troubles n’ait à être établi.

Il en résulte une atteinte au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits.

Les dispositions contestées seront donc déclarées contraires à la Constitution.

La présidente du Syndicat des avocats de France.

 

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