Gérald Darmanin, aujourd’hui ministre de la Justice, bientôt ministre des Colonies et du bagne ?
Dans sa volonté de singer le programme du RN, voici le ministre de la Justice suspendu à une nouvelle branche de la démagogie : rétablir le bagne en Guyane, plus précisément à Saint-Laurent-du-Maroni, où le camp de la Transportation a vu défiler – et souvent mourir – plus de 52 000 transportés et 17 000 relégués.
Car l’annonce par Gérald Darmanin de la construction, au sein du futur centre pénitentiaire de Saint-Laurent-du-Maroni, d’un quartier de haute sécurité pour les narcotrafiquants et les détenus radicalisés charrie une vision passéiste, coloniale et profondément dégradante pour le respect de la condition humaine.
Ces « quartiers de lutte contre la criminalité organisée » constituent un régime carcéral d’isolement quasi-total, privant les détenus de leurs droits fondamentaux. Comme le rappelle l’OIP, « y seraient en effet automatisées les mesures les plus attentatoires aux droits humains et libertés fondamentales : fouilles à nu systématiques, parloirs hygiaphones, interdiction d’accès aux unités de vie familiale et parloirs familiaux, ou encore restriction drastique de l’accès au téléphone à un minimum de deux heures deux fois par semaine ». On rappellera que les « quartiers de haute sécurité » ont été supprimés en 1982…
De sa visite expresse en Guyane, aucun mot ne sera dit de la situation sanitaire et sociale catastrophique du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly, régulièrement condamnée par la juridiction administrative, et sous le coup d’un rapport accablant du comité contre la torture du Conseil de l’Europe publié le 12 mars dernier. Les conditions indignes de détention, les cafards, les matelas par terre, la chaleur, les toilettes partagées par 7 ou 8 personnes dans une même cellule, le ministre s’en lave les mains.
Alors que l’ensemble des acteurs du monde judiciaire et institutionnel, comme la CGLPL, le Défenseur des droits, les États généraux de la justice ou le CESE préconisent la mise en place d’un mécanisme contraignant de régulation carcérale, Gérald Darmanin fantasme une justice du tout carcéral, qu’elle soit en modules préfabriqués en Hexagone, ou en béton armé à Saint-Laurent-du-Maroni.
Pourtant voté en 1875, le principe de l’encellulement individuel n’est toujours pas respecté, sans cesse reporté par les pouvoirs législatif et exécutif. Au 31 décembre 2023, le centre pénitentiaire de Guyane (CPG) qui a une capacité de 616 places contenait 1036 détenus, soit un taux d’occupation de 168% bien supérieur au taux d’occupation national record établi à 128,5% au 1er novembre 2024.
La future prison de Saint Laurent du Maroni avait théoriquement pour vocation de désengorger le CPG et de permettre aux détenus originaires de l’Ouest de maintenir des liens avec leurs familles, souvent empêchées aujourd’hui matériellement et financièrement de se rendre à Rémire pour des parloirs. Eu égard à l’augmentation de la population carcérale et le vote de lois entraînant plus d’incarcération, nul doute que la future prison de Saint Laurent du Maroni sera rapidement, elle aussi, affectée par la surpopulation et les conditions indignes de détention qu’elle génère…
Lutter efficacement contre le narcotrafic nécessite d’expliquer ses causes profondes en Guyane : pauvreté prégnante à l’ouest du territoire, absence de perspectives pour la jeunesse, manque criant de services publics et d’infrastructures de base…
La construction d’un nouveau “bagne”, loin de répondre à ces défis urgents, ne fait qu’ancrer la Guyane dans sa condition de colonie française, au service des rhétoriques réactionnaires de quelques politiciens de l’Hexagone.
Revenons à l’objectif essentiel : la justice en Guyane, partout et pour tout le monde.
Ce dont la Guyane a besoin, ce ne sont pas des buzz médiatiques après la visite expresse d’un Ministre pressé mais de réels moyens mis à sa disposition pour plus de justice.