PUBLIÉ LE 25 juin 2025

Jeudi 26 juin 2025, l’Assemblée nationale étudiera la proposition de loi n° 1008 « visant à renforcer les prérogatives des officiers de l’état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés ». Adoptée par le Sénat le 20 février dernier, elle a fait l’objet d’une discussion en Commission des lois de l’Assemblée nationale lundi 16 juin.

Ce texte propose l’ajout d’un article 143-1 au code civil disposant que « le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national ». En interdisant l’accès au mariage à toute personne en situation irrégulière, l’adoption d’une telle loi reviendrait à créer des discriminations injustifiées et à remettre en cause l’universalité des droits humains.

L’Anvita, l’Ardhis, la Cimade, le Gisti, la LDH, Les Amoureux au ban public, le Syndicat des avocats de France ainsi que SOS Racisme dénoncent une remise en cause frontale à la liberté fondamentale que représente le mariage. La liberté matrimoniale est garantie au niveau interne par la Constitution et la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Elle est en outre garantie au niveau international et européen par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que par la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen.

Aujourd’hui, seuls quatre motifs – la minorité, la polygamie, la consanguinité et l’absence de consentement – peuvent légalement justifier une limitation de cette liberté. Cette loi introduirait une interdiction de portée générale, exempte de tout contrôle a priori : aucune personne en situation irrégulière ne pourrait contracter un mariage. Ce faisant, elle instituerait une discrimination à l’encontre des personnes étrangères en situation irrégulière et de leurs futurs conjoints, français ou étrangers.

L’article 1.A de la proposition de loi prévoit en outre que « les futurs époux étrangers fournissent à l’officier de l’état civil (…) tout élément lui permettant d’apprécier leur situation au regard du séjour ». Un tel dispositif reviendrait à doter les maires d’un redoutable outil pour discriminer leurs administrés en leur confiant une mission de contrôle du droit au séjour qui relève à ce jour exclusivement des préfectures. Dans sa fonction d’officier d’état civil, la mission du maire est uniquement de vérifier l’identité des futurs époux. La modification du code civil en ce sens transformerait encore un peu plus les mairies en organes de police migratoire.

La proposition de loi prévoit par ailleurs une modification inquiétante des pouvoirs respectifs des maires et du ministère public. À ce jour, l’article 175-2 du code civil prévoit qu’en cas de doute sérieux sur le consentement des futurs époux, l’officier de l’état civil doit en informer immédiatement le procureur de la République. Celui-ci dispose de 15 jours pour autoriser, suspendre ou s’opposer au mariage. La suspension peut durer jusqu’à un mois, renouvelable une fois par décision motivée. À l’issue du délai, le procureur doit rendre sa décision définitive.

L’article 1.B de la proposition de loi ajoute que, à défaut de décision motivée dans le délai de 15 jours, le procureur serait réputé avoir décidé de suspendre le mariage par défaut, pour deux mois renouvelables une fois.

Cette inversion du régime de liberté porte en elle-même un effet suspensif automatique et disproportionnée, fondée non pas sur la suspicion de fraude mais sur le défaut de réponse des parquets. Dans un contexte de saturation des services judiciaires, policiers et administratifs, cela revient à instaurer un gel arbitraire de l’exercice d’une liberté fondamentale.

Nous considérons que l’évaluation du consentement des époux et les décisions d’opposition au mariage doivent rester de la compétence du ministère public. Tout comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans une décision du 18 octobre 2013, « le maire et ses adjoints sont des officiers de l’état civil […] et exercent leurs attributions au nom de l’État ». À ce titre, ils célèbrent des mariages dans leur commune et ne peuvent invoquer leur liberté de conscience pour refuser de célébrer des mariages de couples de même sexe. Or, dans un contexte où des maires se saisissent de la question des mariages pour faire avancer un agenda raciste ou xénophobe, il ne saurait être question de leur confier la capacité de faire obstacle au mariage de personnes étrangères.

Car cette proposition de loi s’inscrit dans une séquence politique marquée par des remises en cause répétées de la liberté de mariage. Elle fait écho aux refus illégaux de célébrer des mariages prononcés en 2023 par les maires de Béziers, Robert Ménard, et d’Hautmont, Stéphane Wilmotte, et plus récemment en 2025 par la maire de Bourg-lès-Valence, Marlène Mourier. Ce faisant, ces maires contreviennent à l’article 432-1 du Code pénal, qui punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de refuser à une personne une liberté accordée par la loi.

Robert Ménard est ainsi prochainement convoqué devant le tribunal correctionnel de Montpellier après une plainte déposée par les victimes, SOS Racisme et la LDH le 12 juillet 2023.

La maire de Bourg-lès-Valence s’expose aux mêmes sanctions. Contacté par les victimes dès le 2 juin 2025, SOS Racisme a déposé plainte le 5 juin 2025 à son endroit.

Il est particulièrement regrettable que le Président Emmanuel Macron, garant du respect de la Constitution, ait apporté un soutien à cette proposition de loi pourtant anticonstitutionnelle en déclarant, le 13 mai dernier sur TF1, que ces maires hors-la-loi ne seraient qu’insuffisamment protégés du fait d’un droit qui serait « mal fait ».

Aujourd’hui, notre système législatif permet parfaitement aux pouvoirs publics de s’opposer à la célébration d’un mariage frauduleux. Cette proposition de loi est donc totalement inutile et infondée.

Plus que jamais, la stabilité du droit et le respect des libertés fondamentales doivent prévaloir sur des logiques qui visent à faire reculer l’État de droit. Atteinte à une liberté fondamentale, discrimination fondée sur la nationalité et le statut administratif, enrôlement des maires au service d’une politique migratoire aux relents racistes et xénophobes, cette proposition de loi cumule décidément toutes les tares.

C’est pourquoi l’Anvita, l’Ardhis, la Cimade, le Gisti, la LDH, Les Amoureux au ban public, le Syndicat des avocats de France ainsi que SOS Racisme contestent fermement cette proposition de loi et appellent les députés à la rejeter sans détour.

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