Le projet d’instaurer un droit de timbre est à ce point indéfendable que le gouvernement ne recule devant aucun argument fallacieux pour tenter de justifier son projet. Le Syndicat des avocat·es de France, qui s’oppose fermement à ce projet, décryptent trois d’entre eux.
Au lieu de la prétendue « Solidarité entre les justiciables », il s’agit d’instaurer une taxe sur les victimes et de s’en prendre prioritairement aux classes moyennes.
La rhétorique selon laquelle faire payer les demandeur·esses serait une manière d’instaurer une solidarité entre les justiciables est une pure escroquerie intellectuelle. Rappelons que le/la justiciable est l’individu susceptible de se retrouver devant un juge, de sorte que tous·tes les résident·es en France sont des justiciables. La solidarité entre les justiciables se confond donc avec une politique fiscale juste qui fait contribuer chacun selon ses moyens.
A l’inverse, l’instauration d’un droit de timbre parce qu’il ne pèserait que sur les demandeur·esses, c’est-à-dire les personnes s’estimant lésés dans leur droits et victimes d’injustice, ne constituerait rien d’autre qu’une taxe sur les victimes (fûssent-elles civiles).
De surcroît, le caractère forfaitaire du droit de timbre, quand bien même les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle en serait exempt·es, constitue une forme d’impôt particulièrement inéquitable : ce sont les classes moyennes et les petits revenus qui seront ainsi le plus durement touchés.
L’objectif affiché de limiter les recours abusifs est totalement déconnecté du réel : le seul effet possible est de limiter plus encore l’accès à la justice des justiciables modestes.
Rien ne vient étayer l’idée de nombreuses procédures abusives, et encore moins accréditer l’hypothèse qu’un droit de timbre permettrait de lutter contre de tels recours abusifs sans être une barrière pour l’ensemble des recours.
Quelques rappels s’imposent :
- Il existe déjà des amendes civiles pour procédures abusives, et de manière générale, même dans le cadre de procédures qui ne sont en rien abusives, la partie perdante s’expose non seulement à assumer ses frais de justices mais également à être condamnée à payer ceux de la partie adverse (le SAF rappelle à cet égard que le juge doit prononcer cette éventuelle condamnation en équité, en tenant compte de la situation financière de chacune des parties et qu’il ne saurait utiliser cette possibilité comme mesure systématique de dissuasion à agir en justice).
- Les juridictions ne sont pas engorgées sous l’effet de procédures abusives, mais du fait du manque de fonctionnaires et de la déliquescence du service public de la justice.
- En pratique, les classes moyennes et modestes qui seraient les premières visées par cette taxe connaissent déjà d’importantes limites dans l’accès à la justice (suppression de tribunaux, mise en place de contraintes comme la requête dématérialisée, chausses-trappes procédurales, ordonnances de tri…).
Dès lors qu’il s’agit de mettre à l’amende l’ensemble des demandeurs indépendamment du bien fondé de la procédure engagée, l’instauration d’un tel droit de timbre n’a aucune raison d’avoir pour effet de limiter spécifiquement les prétendus recours abusifs, et les seuls effets possibles sont de restreindre plus encore l’accès à la justice des ménages modestes.
Il est mensonger de prétendre que le produit d’un droit de timbre sera spécifiquement réservé au budget de l’aide juridictionnelle.
Sans doute est-il nécessaire d’augmenter le budget de l’aide juridictionnelle, comme le budget du service public de la justice dans son ensemble, mais l’universalité budgétaire empêche qu’une taxe puisse être spécifiquement allouée à une dépense publique.
Pour financer le service public de la justice comme tous les autres services publics, ils convient avant tout de lutter contre l’injustice fiscale et notamment le fait que les ultra-riches puissent échapper à l’impôt.