PUBLIÉ LE 23 octobre 2017

 

Madame la garde des Sceaux,

Au prétexte de garantir la sécurité des acteurs judiciaires, de plus en plus de salles d’audiences voient leur boxes fermés par des panneaux de verre, voire des barreaux de métal. Déjà, en 2014, le guide pratique sûreté transformait les tribunaux en bunkers au moyen de détecteurs, de barreaudages, de vitrages anti-vandalisme, de blocs anti voitures béliers…

Depuis les années 2000, l’administration considère, malgré les protestations qui s’élèvent ça et là, qu’il n’est plus concevable qu’un prévenu détenu s’approche de la barre pour comparaître librement face à ses juges et puisse leur parler directement. Ce qui était la règle autrefois devient quasiment impossible et les quelques magistrats qui l’ont exigé un temps ont pour la plupart rapidement dû renoncer, souvent sous la pression de leur hiérarchie et en contravention au principe selon lequel la police de l’audience leur revient.

Tout récemment après Meaux et Evry, c’est à Créteil qu’on installe des cages de verre sans concertation ni avec le barreau, ni avec les magistrats et les fonctionnaires, comme s’il était évident que cette politique sécuritaire fasse l’unanimité. Des cages de verre grillagées à leur sommet munies d’un seul micro installé trop bas et dont le volume est mal réglé.

Au delà des déplorables conditions techniques d’audition, les prévenus étant contraints de se baisser – quand ailleurs ils ne se hissent pas sur la pointe des pieds – pour parler dans le micro et de disparaître derrière la buée sur la vitre, les avocats ou les interprètes ne pouvant trouver leur place, c’est toute la symbolique du procès et de la place accordée à la personne que l’on juge qui en est affectée.

La logique est générale : le guide de prospective immobilière consacre une vision architecturale des futurs palais de justice qui exclut le justiciable, qui le déshumanise en le réduisant à une dangerosité supposée, nécessitant de limiter autant que possibles ses contacts avec les acteurs de l ‘institution judiciaire. Les palais de demain seront faits de couloirs étanches pour la circulation du public et des professionnels, des services badgés et fermés même aux avocats, des portiques partout, la justice nulle part.

Le futur palais de justice de Paris, dont la conception est pourtant trop ancienne pour intégrer ces « avancées » en matière de sécurité, en est déjà l’illustration : des contraintes de sécurité viendront limiter l’accès aux 90 salles d’audiences curieusement situées dans les étages.

Quant à celui de Lille, qui est à ce jour le prototype de ce qui « doit » se faire selon la Chancellerie, il comprendra des salles d’audiences mutualisées pour les fonctions de cabinet, en décalage complet avec les pratiques et les besoins, une surface de travail dès lors restreinte et partagée entre les magistrats en anticipant une numérisation de toutes les procédures qui ne sera probablement pas effective en temps utile et des espaces communs peu compatibles avec les exigences de confidentialité.

Nous refusons, madame la ministre, qu’après avoir subi les dérives d’une visio-conférence devenue la seule issue devant l’échec du transfert des extractions judiciaires, les justiciables et les acteurs de l’institution judiciaire fassent les frais d’une politique qui exclut les premiers et obère les conditions de travail des seconds et par dessus tout, porte atteinte à l’essence même de l’institution.

C’est pourquoi nous vous demandons expressément de faire retirer ces éléments « d’architecture » qui entravent l’accès du justiciable à ses juges et son conseil, nuisent à sa dignité et sont une injure à la présomption d’innocence.

Compte tenu de l’importance qui s’attache pour tous au respect de l’accès à la justice, vous comprendrez que nous rendions ce courrier public.

Nous vous prions d’agréer, madame la garde des Sceaux, l’expression de notre considération distinguée.

 

Bertrand Couderc

Président du Syndicat des avocats de France

Laurence Blisson

Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature

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