Communiqué commun ADDE – Gisti – SAF
Alors que, dans une petite île de l’archipel des Comores, la tension augmentait d’année en année…
Alors que, parmi les 250 000 habitants de ce département les uns sont français mais beaucoup plus pauvres que ceux qui vivent en métropole, tandis que les autres, qualifiés d’étrangers, sont pour la plupart originaires des îles du même archipel où la pauvreté est bien pire [1]…
Alors que le fossé économique et institutionnel entre les uns et les autres se creuse d’année en année.
Alors que, régulièrement, parlementaires et gouvernements ne parlent que de la « pression migratoire » exercée sur l’île afin de renforcer les moyens et les effectifs des forces de police et de justifier le non-droit omniprésent.
Rien d’étonnant à ce que le climat s’échauffe et que la violence monte entre les Mahorais et les autres.
Des Mahorais ont commencé en 2016 à exclure de leurs villages les personnes d’origine comorienne avec l’appui de leur maire et devant des « forces de l’ordre » passives.
Des mairies refusent d’inscrire des enfants en raison de l’origine de leurs parents et un juge se permet de valider cette pratique [2].
Début mars 2018, pour tenter de mettre fin aux barrages violents mis en place par des collectifs de Mahorais, le gouvernement ne trouve rien d’autre que les vieilles recettes : l’image apocalyptique d’une invasion de la maternité de Mayotte par des mères comoriennes accouchant d’enfants qui deviendraient français dès leur naissance.
Les fantasmes sont commodes pour gouverner ! Pourtant, naître sur le sol français n’a jamais permis d’acquérir immédiatement la nationalité française [3]. Le gouvernement imagine même de donner à cette maternité un statut extraterritorial qui en ferait un «centre de tri»: ne seraient réputés nés à Mayotte que les bébés dont l’un des parents est français… Peu importe les aberrations juridiques, la violation de la Constitution, il s’agit d’innover et de faire de cette maternité une exception en matière d’accès à la nationalité[4].
Puis, dans l’espoir de calmer la colère des manifestants mahorais, le 13 mars dernier, la ministre des Outre-mer prenait douze engagements au nom du gouvernement dont sept sur la « lutte contre l’immigration clandestine » désignant, une fois de plus, l’étranger comme responsable de tous les maux. Depuis lors, une course effrénée aux chiffres est lancée. Des camions de gendarmerie sont postés un peu partout sur l’île. Des bus scolaires sont réquisitionnés et affrétés pour transporter les personnes interpellées. Comme toujours à Mayotte mais plus encore actuellement, des procédures expéditives et bâclées ; toujours plus de mineurs isolés fabriqués par l’éloignement de leurs parents. Résultat : 450 interpellations en quatre jours… Dans le lot, de nombreuses personnes pourtant légalement protégées contre une mesure d’éloignement (parent d’enfant français, jeune arrivé à Mayotte l’âge de 13 ans, titulaire de récépissés, etc.).
Qu’importe si cette politique aveugle renforce l’inimitié entre les Mahorais et leurs voisins largement responsable de l’insécurité croissante sur l’île de Mayotte : à court terme, le gouvernement y voit un moyen de favoriser de futures négociations avec les Mahorais.
Depuis que les responsables politiques attisent les peurs des uns et des autres en préférant les fantasmes et les expulsions à une vraie réflexion sur l’avenir de l’archipel, les dangers vont grandissant.
La chasse à l’homme organisée dimanche par des habitants du nord de Mayotte [5], pour livrer des personnes étrangères à la police n’est pas le seul signal d’alarme…
Signataires :
- Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE)
- Groupe d’information et de soutien des immigré⋅e⋅s (Gisti)
- Syndicat des avocats de France (SAF)
[1] PIB par habitant estimé en 2014 : 557€ aux Comores, 8 603€ à Mayotte, 32 736€ en métropole, Observatoire de l’Outre-mer, novembre 2017
[2] TA de Mayotte, réf., 14 mars 2018, n° 180032
[3] Voir deux décodages du collectif migrants outre-mer : « Fantasmes autour d’une invasion de bébés à Mayotte » (12 mars 2018) et « Rumeurs sur le droit du sol » (18 mars 2018)
[4] Réponse à une question d’actualité au gouvernement n°0250G du sénateur Thani Mohamed Soilihi, 9 mars 2018
[5] Communique d’un nouveau « collectif des citoyens du nord », 17 mars 2018