Sans surprise, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 janvier 2024[1], a censuré 32 des 84 articles qui composaient la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, adoptée le 19 décembre 2023 et publiée dans l’urgence dès le lendemain.
Des dispositions concernant le regroupement familial, les étrangers malades, les étudiants, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, l’hébergement d’urgence, la protection sociale, les restrictions du droit du sol, la déchéance de nationalité ont donc été censurées comme cavaliers législatifs sans lien avec l’objet du texte initial.
A l’issue de manœuvres et tractations politiciennes sans précédent, le Gouvernement a assumé le vote d’une loi très largement inconstitutionnelle, se félicitant de la validation de quelques dispositions, soutenu par un chef de l’Etat bien loin de son rôle de garant de la Constitution. Cette situation relève d’une grave crise des institutions censées avoir la Constitution comme boussole. Lors de ses vœux, le président du Conseil constitutionnel rappelait que « le Conseil constitutionnel n’était ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement mais le juge de la constitutionnalité des lois », définition simple mais « probablement pas ou pas encore intégrée par tous ». Prophétie auto-réalisatrice ou non, il n’a pas fallu très longtemps à ceux qui voudraient faire tomber notre État de droit pour s’attaquer au « gouvernement des juges » et critiquer la décision des Sages. Ces sorties politiques sont l’expression d’un risque pour la démocratie et pour nos institutions, tant le législateur et le pouvoir réglementaire espèrent parfois se situer au-dessus de la Constitution.
Toutefois, si le nombre d’articles censurés pourrait laisser croire que la loi immigration s’est vidée de sa substance, il n’en est rien. La décision du Conseil constitutionnel procède essentiellement d’un toilettage procédural, sans affirmer de grands principes constitutionnels à l’égard des étrangers. En outre, de nombreuses dispositions que nos organisations estiment inconstitutionnelles n’ont pas été examinées par le Conseil constitutionnel et sont entrées en vigueur en l’état. Cette loi porte, par exemple, à trois ans le délai d’exécution des obligations de quitter le territoire français. Elle met fin à la collégialité en matière d’asile et étend la visioconférence pour les étrangers placés en rétention administrative. Elle supprime la protection contre l’éloignement pour des étrangers ayant de très fortes attaches avec la France et généralise la double peine. Elle fragilise la prise en charge des mineurs non accompagnés et précarise un peu plus les demandeurs d’asile. Cette liste de régressions – non exhaustive – ne peut qu’inquiéter et requiert une mobilisation de chaque instant.
De plus, en déclarant, en toute logique, contraires à la Constitution les cavaliers législatifs par une formule sibylline, le Conseil constitutionnel laisse la porte ouverte à une nouvelle proposition de loi les reprenant.
Des lignes sont franchies et de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux sont portées. On stigmatise ceux qui « ne sont pas français », en tentant de les rendre responsables de tous les maux de notre société. Sous couvert d’une opinion publique, dont les préoccupations sont en réalité bien ailleurs, le gouvernement non seulement fait céder les digues, mais a également joué à un jeu dangereux pour nos institutions en bradant les principes démocratiques qui nous font « tenir ensemble ».
Nos organisations restent vigilantes tant sur l’entrée en vigueur des dispositions non censurées, que sur les futures évolutions législatives en matière de droit des étrangers ainsi que sur les discussions en cours sur le Pacte européen en matière d’immigration.
[1] https ://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/2023863DC.htm