PUBLIÉ LE 14 octobre 2015

Depuis le 12 octobre 2015 dans la quasi totalité des tribunaux de France, plus aucun avocat n’est désigné pour prêter son concours aux justiciables bénéficiant de l’aide juridictionnelle en matières pénales, civiles ou administratives. Cette situation inédite découle du caractère inacceptable du projet de loi de finances pour 2016 qui réduit drastiquement la rétribution des avocats intervenant à l’aide juridictionnelle.

Le système d’aide juridictionnelle tend à assurer l’égalité des citoyens devant la Loi et la Justice. Il permet aux justiciables les plus pauvres de bénéficier d’un avocat pour faire valoir leurs droits, sans avoir à le rémunérer puisque rétribué par l’État qui fixe unilatéralement cette rétribution, dont le montant varie selon les procédures. C’est cette rétribution, insuffisante pour assumer économiquement et correctement la défense des justiciables, qui fait débat depuis de nombreuses années, malgré les promesses d’augmentation jamais tenues.

Si le Gouvernement annonce aujourd’hui une hausse artificielle et mensongère du budget, c’est qu’il compte augmenter le nombre des missions nouvelles. Celles-ci ont en particulier pour objet de réduire l’office du juge, par le dévoiement de la médiation ou autre règlement amiable des litiges aux seules fins de désengorgement des tribunaux, de régulation des flux et de réductions budgétaires.

Pour dégager les fonds nécessaires, le Gouvernement fait supporter le poids de ces missions nouvelles aux avocats en diminuant de 36 millions d’euros l’indemnisation des missions actuelles. Cette baisse concerne la justice du quotidien, qui serait trop coûteuse pour les finances publiques mais qui impacte directement les classes populaires : affaires familiales, prud’hommes, logement et consommation. Ainsi, pour engager en référé devant le tribunal d’instance une action urgente en demande de réalisation sous astreinte de travaux pour cause d’insalubrité, la rétribution de l’avocat baissera de plus de 60 % !

La rapporteure du budget à l’Assemblée nationale a elle-même reconnu qu’il ressortait de ce projet « un empilement de mesures disparates peu durables dont la seule unité consiste à débudgétiser une politique majeure de l’État ».

La conséquence de ce budget est que plus aucun avocat ne pourra prêter son concours aux justiciables bénéficiant de l’aide juridictionnelle pour une rétribution si faible qu’elle ne couvre pas le coût de son activité professionnelle (loyer, documentation juridique, cotisations sociales, salaires du secrétariat…). Dans ces conditions, l’augmentation du seuil d’admission à l’aide juridictionnelle, pourtant souhaitée par le Syndicat des avocats de France, se révèle d’une particulière hypocrisie.

Le Syndicat des avocats de France était prêt à discuter d’une vraie réforme permettant aux plus pauvres un accès effectif aux droits. Les avocats ont tout tenté pour empêcher cette situation : proposition de financements complémentaires et d’organisation de groupes de défense, grèves à répétition, manifestations, négociations, lobbying parlementaire… Rien n’y a fait, le Gouvernement persiste à considérer les avocats comme des nantis, preuve de la méconnaissance de la réalité de leurs conditions d’exercice lorsqu’ils interviennent pour les particuliers de plus en plus paupérisés.

En maintenant son projet et dissuadant économiquement les avocats d’assumer cette mission, le Gouvernement fait disjoncter le système d’aide juridictionnelle. Il ne peut plus se défausser sur les avocats qui n’ont d’autres choix, compte tenu de cette ultime provocation, que de lui laisser le soin d’organiser seul la défense des plus pauvres devant la justice.

Il est encore temps de revenir sur cette réforme. À défaut, le Gouvernement portera la responsabilité de la fin d’une politique solidaire de l’accès au droit, lourde responsabilité pour un Gouvernement se réclamant de gauche.

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