PUBLIÉ LE 18 juillet 2019

La Cour de cassation a rendu ce jour deux avis sur la conformité ou non du plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux engagements internationaux de la France. Le choix de l’assemblée plénière plutôt que celui de la Chambre sociale, naturellement compétente dans le contentieux du travail, n’est pas neutre. Manifestement, il y avait urgence à « sécuriser » les licenciements et les employeurs.

Alors que jusqu’à présent elle refusait de se prononcer par cette voie sur la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les normes internationales, la Cour justifie sa décision de rendre un avis en prétextant qu’il s’agirait « d’assurer dans un souci de sécurité juridique, une unification rapide des réponses apportées à des questions juridiques nouvelles ».

C’est curieusement oublier que l’article L. 441-3 du Code de l’organisation judiciaire souligne que « l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande ». C’est dire s’il ne lie pas plus les autres juridictions.

Un avis ne lie même pas la Cour de cassation elle-même, et il lui est ainsi arrivé à plusieurs reprises de ne pas suivre un avis qu’elle avait elle-même rendu précédemment[1].

Plus généralement les arrêts rendus par la Cour de cassation ne lient pas les juges du fond, et ils peuvent aussi faire l’objet d’un revirement de jurisprudence, l’article 5 du Code de procédure civile rappelant d’ailleurs qu’« il est défendu aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».

En outre, la Cour a estimé pouvoir rendre un avis sur cette compatibilité « dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond ».

Dès lors, les juges restent parfaitement libres d’écarter le plafonnement, soit en refusant de suivre les avis de la Cour de cassation, soit au regard des faits propres à chaque dossier qui leur est soumis.

Ces avis ne peuvent donc clore le débat !

La position exprimée par la Cour de cassation ne nous convainc pas. Celle-ci écarte d’un trait de plume l’applicabilité directe de l’article 24 de la Charte sociale européenne en se réfugiant derrière la notion fourre-tout et subjective de la « marge d’appréciation » laissée aux Etats pour mettre en œuvre le texte européen, alors que, dans le même temps, elle reconnait comme invocable par les particuliers l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, pourtant rédigé de manière quasi-identique pour garantir le droit à une indemnité adéquate en cas de licenciement sans motif valable.

Et c’est de nouveau la notion bien commode de « marge d’appréciation » qui est utilisée pour considérer que le plafonnement ne méconnait pas l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.

Ainsi, à l’instar du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, l’Assemblée plénière refuse d’examiner sérieusement le mécanisme d’une indemnisation enfermée dans les bornes du barème, même lorsqu’il s’agit de limiter l’appréciation du préjudice entre 1 mois et 2 mois de salaire.

Et puisque le juge peut être saisi, peu importe qu’il ne dispose que d’une marge d’appréciation négligeable, les apparences sont sauves et l’accès au juge, garanti par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, prétendument respecté.

Quant à l’argumentation relative au non-respect du principe d’égalité de traitement garanti par les articles 20 et 21 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, elle n’a tout simplement pas reçu de réponse.

L’Office du juge doit se poursuivre devant les juridictions françaises.

Le Bureau International du travail et le Comité européen des droits sociaux doivent également se prononcer prochainement à ce sujet.

Nous appelons les salariés, les organisations syndicales, les avocats et les défenseurs syndicaux à ne pas baisser les bras.

Et nous diffuserons très vite une nouvelle mise à jour de notre argumentaire.

Nous refusons de nous résoudre à voir les employeurs budgéter à vil prix les licenciements abusifs.

Il n’est pas question de laisser le droit du travail français sombrer dans un déséquilibre honteux et dangereux qui spolie les salariés de leur droit à ne pas être licencié sans motif valable ou à en être à tout le moins indemnisé par un juge en capacité de réparer leurs préjudices de manière « adéquate ».

 

Contacts :

Judith KRIVINE, Responsable de la commission sociale du SAF : jk@dellien.com

Isabelle TARAUD, Membre du SAF : itaraud@taraud-avocat.com

[1] A titre d’exemple dans un arrêt du 30 janvier 2014 n°2-24145 en matière de procédure civile

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