PUBLIÉ LE 30 juin 2014

Rapport d’observation*

« Une procédure en trompe l’oeil »

Les entraves à l’accès au recours effectif

pour les étrangers privés de liberté en France

*

Pour la réalisation de ce rapport, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers a reçu le soutien de Open Society Foundations www.opensocietyfoundations.org

Pour plus d’informations, et pour obtenir le rapport d’observation : observatoireenfermement.blogspot.fr/

En théorie, les étranger·e·s privé·e·s de liberté dans les zones d’attente, les centres de rétention ou les prisons ont le droit de se défendre devant un juge. En réalité, contester une mesure d’éloignement, un refus d’entrée ou une privation de liberté relève bien souvent du parcours du combattant. Partant de ce constat, les associations membres de l’OEE ont conduit une étude destinée à recenser l’ensemble des obstacles à l’exercice du droit fondamental à un recours effectif auxquels se heurtent les étranger.e.s enfermé.e.s. Il s’agissait notamment de repérer lesquels de ces obstacles sont inscrits dans les textes et lesquels relèvent des pratiques. Ce travail d’enquête a été mené de septembre 2013 à mai 2014 dans différents lieux de privation de liberté et auprès de nombreux protagonistes (associations, magistrat·e·s, avocat·e·s, syndicats, représentant·e·s de la police et de l’administration centrale).

Les témoignages et observations recueillis par l’OEE illustrent le caractère aléatoire de l’accès au juge et à un recours effectif pour cette catégorie d’étrangers. Lorsque des procédures existent, elles sont loin d’être systématiquement engagées car nombre d’étrangers ne sont pas, de facto, mis en mesure d’exercer un tel recours contre leur éloignement. En outre, pour celles et ceux qui parviennent à présenter une requête ou à faire appel d’une décision, le recours n’est pas forcément effectif faute de présenter un caractère suspensif. Il existe manifestement une inégalité des armes qui tient à l’urgence dans laquelle est placé l’étranger, à la privation de liberté, et au manque de moyens mis à disposition d’une population souvent isolée, sans grands moyens financiers et a priori non francophone. En pratique, l’isolement, la privation de liberté, les moyens limités de la défense, les procédures expéditives, l’absence de recours suspensif rendent le droit au recours irréalisable pour beaucoup d’étrangers. De même que, sur le papier, le séjour irrégulier n’est plus un délit et que les centres de rétention ne sont pas censés « relever de l’administration pénitentiaire », l’accès au juge n’existe que formellement, les moyens de l’exercer étant limités.

Parmi les constats les plus préoccupants de l’enquête, l’OEE a identifié :

– l’augmentation significative du nombre d’éloignements d’étrangers au cours des cinq premiers jours de leur rétention, soit avant toute audience devant le juge des libertés et de la détention, garant des libertés individuelles et de la régularité de la procédure ayant abouti à la décision d’éloignement ;

– la possibilité d’éloigner un étranger avant même que la cour d’appel ou la cour administrative d’appel saisie d’une demande d’effet suspensif ne se prononce ;

– l’absence, dans de nombreux cas, de recours effectif devant la juridiction administrative ;

– la persistance de l’éloignement de demandeurs d’asile, y compris des primo demandeurs, avant toute audience devant la Cour Nationale du Droit d’Asile.

L’absence de recours effectif a de multiples conséquences, sur les personnes qui en sont victimes – particulièrement en outre-mer, où l’absence de recours effectif conduit à des expulsions massives -, ainsi que sur les moyens mis en œuvre, des ressources financières et humaines très importantes sont mobilisées pour enfermer et expulser des personnes sans que soit garantie la légalité de ces mesures.

Mais l’un des effets les plus préoccupants de ce dispositif inéquitable est certainement son impact sur l’image/la perception des étrangers en France. La liberté individuelle des étrangers semble reléguée à l’arrière-plan, occultée par leur statut administratif de migrants sans titre de séjour.

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