PUBLIÉ LE 20 mai 2016

Une proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale a été déposée à l’Assemblée nationale le 1er juillet 2015, par deux députés, Messieurs Alain TOURRET et Georges FENECH, puis adoptée en première lecture le 10 mars 2016 avant d’être renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Cette proposition de loi réforme la prescription de l’action publique et de la peine.

S’agissant de la prescription de l’action publique, celle-ci serait profondément modifiée.

Premièrement, le délai de prescription en matière de crimes inscrit à l’article 7 du code de procédure pénale ne serait plus de 10 ans mais de 20 ans, tandis que celui applicable aux délits inscrit à l’article 8 du même code, serait porté de 3 à 6 ans.

Deuxièmement, la proposition de loi prévoit un nouvel article 9-1 du code de procédure pénale qui dérogerait aux articles 7 à 9 du même code relatifs au point de départ du délai de prescription de l’action publique qui, par principe, court à compter de la commission de l’infraction.

L’article 9-1 nouveau intègrerait ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les infractions occultes et dissimulées. L’alinéa 1 proposé dispose qu’en cas d’infractions occultes ou dissimulées, le point de départ du délai de prescription « court à compter du jour où l’infraction est apparue ou a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique ». Les alinéas 2 et 3 définissent, l’un et l’autre, ce qu’est une infraction occulte et dissimulée, se fondant sur la jurisprudence de la Haute juridiction.

Enfin, la proposition de loi vise à créer un nouvel article 9-3 du code de procédure pénale, consacrant la règle jurisprudentielle de la Cour de cassation relative à la suspension de l’action publique en cas « d’obstacle de fait insurmontable [rendant] impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique », posée par l’arrêt d’assemblée plénière du 7 novembre 2014.

S’agissant de la prescription de la peine, quelques modifications sont aussi envisagées.

Premièrement, la prescription de la peine pour certains crimes (eugénisme, clonage reproductif ou encore en matière de disparitions forcées) est portée à 30 ans.

Deuxièmement, les peines deviennent imprescriptibles en matière de crime de génocide et de crime contre l’humanité lorsqu’ils sont connexes.

Enfin, la prescription de la peine en matière délictuelle est portée de 5 à 6 ans sauf exceptions selon lesquelles certains délits punis de dix ans d’emprisonnement se prescrivent par 20 années révolues.

La question de savoir « pourquoi notre droit s’est-il embarrassé et continue-t-il de s’embarrasser d’une institution comme la prescription dont il semble en tant d’occasions chercher à s’affranchir ? » était au cœur du discours prononcé devant l’assemblée nationale le 24 février 2015, par le Premier Président de la Cour de Cassation, Monsieur Bertrand Louvel .

Celui-ci admettait que si, selon lui, l’action publique ne devait pas se trouver paralysée par une prescription trop courte ou une application trop mécanique qui interdirait toutes recherches sur des faits particulièrement graves, on ne pouvait davantage se satisfaire, au nom de l’efficacité ou au prétexte de l’insuffisance des moyens de l’autorité judiciaire, de poursuites interminables.

Il ajoutait qu’il existe « un risque de voir la durée des procédures s’accroître dès lors que la combinaison des différentes techniques de rallongement des délais de prescription, notamment celle des interruptions successives, permet que l’action engagée devienne, dans les faits, quasiment imprescriptible. »

Ces deux écueils ne sont pas évités par cette réforme, bien au contraire.

Elle a, en effet, pour conséquence d’instituer une quasi imprescriptibilité de l’action publique.

Elle porte en outre en elle l’aveu de la part de nos représentants de l’état de délabrement de la Justice. Ceux-ci font le choix d’amputer la procédure pénale d’un principe fondamental de tout système de droit plutôt que de relever le financement de la Justice, à un niveau digne d’une démocratie effective.

Par ailleurs, s’agissant des poursuites, l’allongement des délais de prescription de l’action publique, méconnaît le droit à l’oubli, au « pardon social », fondé à la fois sur la nécessité de laisser l’écoulement du temps faire son œuvre, favoriser l’apaisement social, et sur le dépérissement des preuves, que les progrès scientifiques n’annihilent pas.

Insinuer qu’il est possible de poursuivre quelqu’un vingt ans après les faits est hypocrite et mensonger. Le procès ne peut être équitable, et la réponse pénale satisfaisante, au delà d’un temps raisonnable.

En effet, le temps qui passe altère nécessairement les lieux de l’infraction, pollue les témoignages, emporte parfois les témoins eux-mêmes.

Quant à la preuve scientifique issue des constatations matérielles, si elles sont encore possibles, elle n’est jamais absolue.

A l’égard de la victime, un tel allongement des délais ne peut qu’aboutir à nourrir des rancœurs et des frustrations, en la maintenant dans l’attente d’un procès tardif, et de plus en plus hypothétique, et dans l’espoir d’une condamnation également hypothétique dans ces conditions, à l’issue d’un procès appauvri, dont le seul effet réel pourrait être de raviver les blessures.

Il faut admettre que l’épreuve du temps ne tend qu’à éloigner la vérité judiciaire de la vérité des faits.

Il est intéressant à ce sujet d’observer que cette proposition de réforme intervient, paradoxalement, seulement quelques années après la réforme du 17 juin 2008, qui a drastiquement raccourci les délais de prescription en matière civile.

Quant à l’objectif affiché, qui serait d’harmoniser notre législation en matière de prescription avec les pays de l’Union Européenne (UE), on ne peut le juger que fallacieux, tant les systèmes concernés sont distincts les uns des autres.

En revanche, une telle réforme va encore à l’encontre du droit pour chacun d’être jugé dans un délai raisonnable, affirmé par le droit conventionnel.

Elle tend également à brouiller les repères de notre société en élevant de fait les crimes de droit commun à un niveau d’imprescriptibilité proche de celui des crimes les plus graves, tels ceux commis contre l’humanité.

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